Sorti d’abord en 2008, Hellywood revient dans une nouvelle édition fin 2016 avec une centaine de pages en plus. Ce jeu de rôle de 328 pages, édité par John Doe, vous plonge dans la ville fictive de Heaven Harbor dans le genre Noir avec un soupçon de surnaturel. Âmes sensibles, s’abstenir.
“MJ avec une voix faussement grave : Les gars, ce soir, fini de déconner. On range les épées en mousse et les potions de lopettes… Aujourd’hui, vous êtes de tough guys !
PJ 1 : Des quoi ?
MJ toujours avec sa voix de taulard : Des… TOUGH GUYS !
PJ 1 et 2 : … des quoi ?
MJ qui reprend une voix normale : Mais des “toff gaillez”, quoi ! Des mecs, des durs !
PJ 3 : Mais moi je joue une femme.
MJ : Mais on s’en fout, c’est pour l’univers du… oh et puis laissez, tomber. Bienvenue à Heaven Harbor, la ville qui a toujours connu la corruption, le crime, le racisme, tout le tralala…
PJ 1 : Ouais mais si tu dis “tralala” ça colle pas avec l’univers.
MJ exaspéré, reprend après une pause avec sa voix grave : Vous êtes en 1949 à Los Angeles. Y a 7 ans, des non-humains cornus et autres ont débarqué dans votre univers mais tout le monde a fini par s’y habituer (oui c’est bizarre, je sais mais on s’en fout). Vous, vous travaillez pour une agence de détectives privés dans un quartier malfamé où vit d’ailleurs une grande partie des cornus.
PJ 4 : Et nous, on est des cornus ?
MJ avec sa voix normale : Mais t’as lu ta fiche de perso ou pas ?!
PJ 4 : Ah merde attends, j’vais faire ça…
MJ qui se racle la gorge et retrouve sa voix badass : Bref, vous êtes dans un bar (ben oui, c’est l’équivalent moderne de la taverne, là où commencent les jeux de rôle). Vous connaissez Charlie, le proprio, dont la protégée Lucy a chanté quelques magnifiques morceaux ce soir, accompagnée de son groupe de musiciens camés.
PJ 2 : Mon perso joue du saxophone, alors moi j’veux bien remplacer un des musiciens.
MJ : Euh OK… pourquoi pas ? Mais là, maintenant, que faites-vous ?
PJ 2 : Moi je suis affalé sur le bar, on sait pas trop si je comate ou si je prends une pause avant la dernière tournée…
MJ : Très bien, les autres on l’air de siroter un dernier verre également avant de prendre la route et alors que le bar semble quasi vide, un groupe de jeunes, habillés en costards fripés, usés et surtout pas à leur taille, entrent en jouant les gros durs. Ils tiennent des battes, des chaînes ou des planches. L’un d’eux, le plus grand, se dirige vers la chanteuse Lucy en la traitant de s*****. Les autres commencent à faire du grabuge en cassant des bouteilles, des verres et en renversant des chaises. Ils sont désormais attroupés autour de Lucy.
PJ 2 : C’est le moment que je choisis pour me lever. Je m’approche du groupe, je me glisse parmi eux et je touche l’épaule du gars qui menace Lucy pour attirer son attention.
MJ : Il se retourne…
PJ 2 : … et je lui fous un poing dans la gueule !
MJ avec sa voix de nouveau normale : Ah ben voilà, t’as compris le principe : un tough guy !
PJ 2 : Un quoi ?”
On décortique Hellywood
Après son bref sommaire, Hellywood nous lance subtilement dans le vif du sujet avec deux pages truffées de coupures de journaux, donnant un avant-goût de l’univers dans lequel il nous plonge. Et attention, ça s’annonce noir ! Hellywood contient :
- Introduction (6 pages) qui met en situation le lecteur, puisque nous sommes dans un univers sombre, noir, avec un brin de surnaturel quelques années après la Seconde Guerre mondiale ;
- Welcome to Heaven Harbor (34 pages), le premier chapitre, qui décrit brièvement l’univers de Hellywood sous la plume de Terry Doyle, ex-flic fictif et narrateur du livre. C’est là qu’on trouve les premières informations sur la géographie, le contexte politique et social, l’histoire de la péninsule, la police, le crime et les “cornus” (les non-humains) ;
- Heaven Harbor Field Guide (140 pages), le descriptif avancé de Heaven Harbor, où l’on retrouve toutes les informations réparties en quartiers, domaines (politique, justice, sport, culture, etc.), persons of interest, cornus, etc. ;
- Tapis Vert (48 pages) qui englobe les mécaniques de jeu, à commencer par la création de personnages, suivie du système et des règles liées au surnaturel ;
- Pur Noir (36 pages) qui donne des conseils quant à l’interprétation du thème hardboiled dont s’inspire l’univers, propose des références et sources d’inspiration ;
- Hellywood Stories (50 pages) met à disposition des personnages prétirés, des pistes de campagne et propose finalement quelques scénarios pour mettre à l’épreuve le système de jeu.
Le livre se termine sur une Table des Matières complète ainsi que les remerciements.
Univers : Noir, c’est Noir
Le titre du jeu est très évocateur. Il explore l’univers noir et la culture hardboiled, ce style de fiction issu de la première moitié du 20e siècle Il dépeint un monde lugubre, trahissant la face la plus sombre et crue de l’humanité. D’ailleurs, que nul ne s’y trompe ! La dimension ésotérique et fantastique de Hellywood ne sert qu’à élargir le contexte. Car même en “envahissant” notre monde, les cornus de Hellywood ne constituent qu’un prétexte. Celui de présenter l’humanité sous un jour très terre-à-terre, voire peut-être trop. Le surnaturel n’est donc pas une fin mais un moyen. Aussi le jeu risque-t-il de paraître glauque pour certains à la lecture très immersive de la description de Heaven Harbor. Une immersion renforcée par Terry Doyle. Cet ex-policier fictif, devenu détective privé et qui n’a pas peur de casser des oeufs pour faire des omelettes, sert de guide à Hellywood.
Plutôt que d’opter pour un enchaînement rébarbatif de descriptions, les auteurs ont créé un personnage faisant office de narrateur. Ce qui donne non seulement un cachet à Hellywood mais implique aussi une lecture biaisée, subjective du monde. Quid des cornus, qui sont arrivés Le Jour des Cendres, en 1942 ? Si les gens croyaient à l’Apocalypse à l’époque, ces non-humains se sont vite adaptés à notre monde, pour le meilleur comme pour le pire. Ils sont divisés en quatre catégories : les golems (costauds et scarifiés), les séraphins (aux traits androgynes, munis d’ailes fragiles comme du verre et aux yeux noirs sans iris), les succubes (objets de fantasmes, traitées comme des esclaves sexuelles dans leur monde et ayant généralement un trait physique non-humain) et les possédés (des gens récemment morts possédés par un esprit venu d’ailleurs). Certains s’étonneront que la présence de ce beau monde surnaturel n’ait pas eu d’implications plus graves dans nos sociétés. Cela dit, ils constituent une vraie plus-value et viennent sublimer un univers froid, dérangeant et malheureusement parfois crédible.
Design et lisibilité : trop détaillé mais bien structuré
Il existe deux écoles dans le monde du jeu de rôle. Celle qui aime les livres avec des descriptions à gogo… et l’autre, qui privilégie la qualité à la quantité. Pour ma part, comme j’aime tester beaucoup de jeux, enfiler des bottins n’a rien d’une partie de plaisir. Qu’à cela ne tienne, s’il faut lire un gros bouquin de règles, autant qu’il soit réussi. Pour le coup, Hellywood propose un livre qui trahit le souci du détail des auteurs. Un vrai travail de recherche a été effectué pour nous présenter un univers à la fois authentique et faisant bouillir l’imagination d’un MJ aguerri. Chaque page, chaque PNJ, chaque anecdote peut donner lieu à un scénario. Et dans la mesure où Heaven Harbor est une ville fictive, les très nombreuses informations que nous donne le livre permettront à n’importe quel MJ d’immerger complètement ses joueurs dans l’univers impitoyable de Hellywood.
Reste qu’il s’agit d’un gros bouquin : 328 pages à se farcir… ou pas ? Pour ma part, j’avoue ne pas avoir tout lu dans le détail. Vous l’aurez remarqué dans le descriptif ci-haut, Hellywood propose deux phases de description. La première, plus brève, donne déjà une image globale de l’univers. Par conséquent, on peut tout de suite passer aux règles. Ensuite, en préparant le scénario, le MJ peut facilement retourner aux descriptions plus détaillées des éléments dont il a besoin. Ce procédé rend la lecture plus digeste et évite de devoir gober la brique d’une traite. Deux petits bémols à souligner, par contre : des fautes de frappe ci et là (rien d’alarmant) et un usage prépondérant de termes anglais (pour le style, je présume ?), y compris quand c’est inutile et qu’il existe un équivalent en français. Heureusement, les sobres mais superbes illustrations sont là pour attirer votre attention ailleurs.
Système de jeu : du pourquoi-faire-simple avec un twist
Nous touchons là au point qui fâche. Personnellement, je suis ouvert à tous les systèmes, qu’ils favorisent la narration ou la simulation. Néanmoins, je pense que tout le monde cherche aussi une certaine simplicité afin de garder un rythme de jeu soutenu. Dans le cas de Hellywood, on trouve un peu de tout. Des concepts inutilement compliqués et qui manquent de clarté d’une part, et d’excellentes idées d’autre part. On commence par le Shotgun, un jet de dés s’inspirant du craps. On lance 2D6 et on réussit avec un total de 7 ou un 11, tandis qu’on échoue avec un 2, 3 ou 12. Les autres résultats sont des réussites partielles, c’est-à-dire que l’action entreprise passe mais soit à moitié, soit avec une contre-partie choisie par le MJ. Des talents et attributs peuvent augmenter les résultats de réussite.
Le souci, ce sont les caves, c’est-à-dire des points d’attributs (physiques, mentaux et sociaux) que le joueur peut miser pour réussir une action en cas de difficulté ou d’opposition. Je vous passe les détails mais en gros, en misant, le joueur doit continuellement retirer des points de son score, en risquant de les perdre. Ce qui donne lieu à des calculs fastidieux et rédhibitoires. Quelques excellentes idées viennent redorer le blason du système de jeu, à savoir les jokers. Il y a tout d’abord les f*ck*n’ b*st*rd points, qui permettent de relancer un jet chaque fois qu’on le souhaite. Le joueur accumule ainsi ces points et le MJ peut, quand il le souhaite, “punir” le joueur d’avoir trop joué avec la chance. Par exemple, si un joueur a 3 points sur sa fiche, le MJ peut augmenter les dégâts qu’il subit ou faire disparaître l’un de ses indics. Vient ensuite le flashback, un mécanisme qui permet à un joueur de reprendre la narration en recourant à ses souvenirs passés (ceux-ci étant choisis librement, ils ne sont pas indiqués dans le livre). On termine avec la roulette russe. Dans une situation ultra-dramatique, le joueur choisit un chiffre de 1 à 6 et lance 1D6. S’il obtient ce chiffre, il meurt d’office (de préférence avec une narration dramatisée par le MJ). Sinon, il se sort très habilement du danger incommensurable qui le guette.
Et quand on joue ? Ça me cave… ou pas
Comme je l’indiquais plus haut, les caves qui permettent de miser des points constituent un boulet dans un système par ailleurs bien huilé. D’ailleurs, je suis assez content que les joueurs autour de ma table aient souvent privilégié des actions sans difficulté (car celles-ci ne requièrent pas de mises). Mais j’ose imaginer à quel point la partie aurait pu devenir lourde et fastidieuse si les calculs s’étaient présentés plus souvent. En dehors de cet aspect, la partie – basée sur le scénario Play it again, Sam du livre de base – s’est très bien déroulée. Du roleplay, des confrontations, de l’enquête, de la mise en ambiance, Hellywood tient vraiment ses promesses, une fois les dés lancés.
La possibilité d’incarner des personnages hétéroclites donne également lieu à des dynamiques de groupe très intéressantes. De quoi alimenter les idées en vue d’une campagne. C’est d’ailleurs généralement la question que je me pose quand je propose un one shot : est-il possible d’enchaîner avec une campagne ? Ici, la réponse est clairement oui, donc bonne nouvelle. Comme je m’y attendais à la lecture du livre, les jokers ont eu beaucoup de succès auprès des joueurs. La partie s’est d’ailleurs terminée sur 3 héros contre 10 criminels armés. Un joueur s’est décidé à recourir à la roulette russe et a réussi son jet. Rien de mieux pour finir une partie en beauté que de se sortir d’une situation dramatique.
Conclusion : Forbidden City n’attend plus que vous
Hellywood a de la gueule. Et à l’instar des gros durs qu’il est censé mettre en scène, il ne s’en tient pas aux paroles. L’univers hardboiled du jeu est un contexte idéal pour des parties alternant entre le roleplay, la narration et des mécanismes de jeu plus classiques. Dommage que le système de caves vienne entacher ce tableau, car pour peu que les joueurs soient confrontés à des difficultés ou des ennemis, la partie se transformera vite en sessions de calculs interminables. Heureusement, il s’agit probablement du seul défaut notable de Hellywood. Vous voilà donc avertis.
Alors, êtes-vous prêts à devenir des tough guys ?
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Avec son univers sombre, cru et pourtant crédible, Hellywood séduira les amateurs d'ambiance noire. Et ne vous laissez pas effrayer par le système, dont l'un des aspects peut provoquer certaines lourdeurs, c'est vrai.