Headspace est un jeu de rôle sorti en juin 2016, écrit par Mark Richardson et édité par Green Hat Designs. Comptant 239 pages, ce jeu à l’ambiance cyberpunk propose d’incarner la dernière ligne de défense face aux multinationales maléfiques… en partageant vos émotions.
“MJ, d’une voix intense et sans prendre sa respiration : On démarre fort, vous devez vous infiltrer dans les serveurs d’une multinationale qui pourrait avoir causé le tsunami qui a frappé la ville il y a 6 mois. Que faites- vous ?
PJ 1 : Étant un ancien agent de la compagnie, j’entre discrètement et passe la réception.
MJ : Le détecteur de sécurité valide ton implant. Tu peux passer.
PJ 1 : Super, je me dirige vers les toilettes pour accéder aux conduits d’aération.
PJ 2 : Pendant ce temps, j’ai pu accéder aux plans grâce à mon contact au gouvernement. Je les analyse mentalement grâce à mon implant neuronal.
MJ : Super, tu peux aider ton compagnon.
PJ 1 : J’entends directement ses pensées et je me dirige vers le conduit vertical qui me permettra de monter les étages.
PJ 3 : Moi, je tripote mon sac bourré d’explosifs pour faire passer le temps…
MJ : Tu arrives au conduit vertical, comment t’y prends-tu pour escalader ?
PJ 1 : Je suis un expert du parkour donc je fais ça avec classe, en me tenant contre les parois avec les bras et en tournoyant avec les pieds pour monter plus vite.
MJ : Nickel, tu fais ça comme un chef.
PJ 2 : “Arrête-toi”, pense subitement mon personnage. “Tu es arrivé au bon étage”.
MJ : En te faufilant dans le conduit, tu arrives devant un grillage. Tu ressens de la chaleur et entends un bourdonnement.
PJ 1 : La salle des serveurs !
MJ : Tu entends immédiatement la pensée de ta camarade et tu conclus la même chose. Que fais-tu ?
PJ 1 à PJ 3 : On devrait peut-être faire diversion pendant qu’il est dans la salle des serveurs, au cas où y aurait des caméras.
PJ 3 : Excellente idée !
MJ : Vous ressentez beaucoup d’excitation quand il s’exclame. En revanche, Edge, l’opérateur fantôme qui était spécialisée en infiltration et qui partage toujours sa conscience avec vous, semble inquiète. Que faites-vous ?
PJ 1 : Moi, je donne un coup de pied dans la grille.
MJ : Tu ressens l’exaspération de Edge mentalement…
PJ 1 : Ah ouais, merde… bon, je regarde malgré tout s’il y a quelqu’un ?
MJ : Tu entends la voix lointaine de Edge se dire “ah ben oui parce que ça va servir à grand-chose maintenant !”. Tu as de la chance, il n’y a personne dans la pièce.
PJ 3 : Nous, pendant ce temps, on arrive à la réception de la compagnie pour faire diversion. Je sors un explosif et je m’apprête à le balancer en criant “Attention, une bombe !”.
MJ : Edge se donne un gros facepalm mental !
PJ 1 pense très fort : Et après c’est moi qui suis pas discret…”
On décortique Headspace
On zappe comme d’habitude la table des matières, les auteurs ainsi que l’excellent avant-propos de John Adamus (TimeWatch, Night Black’s Agents). Headspace contient :
- Welcome to Headspace (9 pages), le premier chapitre qui décrit brièvement le jeu et son univers, explique comment utiliser le livre et revient sur le contrat social ;
- Playing the game (21 pages) décrit dans les grandes lignes le système de jeu tournant principalement autour des émotions et de l’état psychique des personnages ;
- The moves in detail (13 pages) explique les règles concernant les actions des joueurs plus en détails ;
- The world of Headspace (29 pages) décrit l’univers de Headspace, sa technologie, son équipement, ses véhicules, le tout en respectant le cadre cybperunk du jeu ;
- Operator creation (22 pages) revient, point par point, sur la création de personnage, de son look à son équipement, en passant par ses motivations et son vécu ;
- The operators (25 pages), la liste des 6 opérateurs disponibles dans le jeu, chacun ayant ses caractéristiques, son équipement, ses compétences, etc. ;
- The game master’s role (16 pages) donne des conseils ainsi que des outils clairs quant à la manière dont le MJ peut/doit préparer ses parties ;
- Corporations and their projects (23 pages), le système de jeu dédié à la maîtrise des multinationales et la poursuite de leurs objectifs, en opposition avec les joueurs qui incarnent les opérateurs ;
- The first mission : it all went sideways (8 pages) explique comment développer un contexte de base pour lancer son premier scénario ;
- Session two+ (6 pages) envisage la suite du scénario ainsi que la progression au cas où les joueurs poursuivraient l’aventure au-delà d’une seule session ;
- Headspace settings (33 pages) propose deux contextes pouvant servir au MJ, avec toutes les données nécessaires au lancement d’une partie (multinationales, enjeux, PNJ, etc.) ;
- The ludography (2 pages) énumère toutes les sources d’inspiration de l’auteur.
Le PDF que j’ai reçu se termine par la description des personnes ayant participé au projet, suivi d’une liste des souscripteurs sur Kickstarter. Il se conclut par un index.
Univers : Sense8 en mieux
C’est ce qui m’a incité à me renseigner sur le jeu : son univers cyberpunk et surtout son concept de conscience partagée. Lors d’un échange Twitter avec un rôliste anglophone, l’auteur est intervenu et m’a gentiment proposé de tester son jeu. Mon préjugé s’est confirmé à la lecture : Headspace dispose d’un univers génial. Nous voilà à la fin du 21e siècle, les multinationales contrôlent le monde (plus que maintenant…). Certains de leurs agents renégats ont décidé de déserter ces corporations pour former une Cellule Headspace. De quoi s’agit-il ? D’une équipe de 6 opérateurs connectés moralement, mentalement, psychologiquement (et tous les autres -ment possibles). Ce que ressentent les membres de votre cellule, vous le ressentez aussi.
Cette connexion a des implications réelles. Ainsi, vous pouvez recourir aux compétences de vos camarades. Si vous ne saviez pas jusque hier piloter une moto ou soigner une blessure, il se trouve probablement dans votre cellule un as du pilotage ou de la médecine. L’impossible n’est donc plus un obstacle. D’autant que le jeu insiste bien là-dessus : les opérateurs ne sont pas des débutants. Ce sont des agents hautement qualifiés et dotés de talents qu’ils maîtrisent à la perfection. Le grand inconvénient, c’est que les 6 opérateurs ont renoncé à l’absence totale d’intimité. Cela peut avoir des conséquences en matière de roleplay. De même, un opérateur mort devient un opérateur fantôme. Une forme rémanente de leur esprit persiste toujours dans le Headspace et peut vous aider. Lutte contre les multinationales, conscience partagée, cyberpunk… le contexte est donné.
Design et lisibilité : clair et pédagogique
Temps oblige, j’ai toujours quelque réticence à lire des bouquins dépassant les 200 pages. Encore une fois, j’ai eu la chance de tomber sur un livre qui se lit vite, s’avère très clair et surtout très pédagogique. Les pages fourmillent d’exemples permettant de répondre aux questions suscitées par les règles. La lisibilité doit aussi beaucoup à la variété éditoriale du livre. Par exemple, la partie consacrée à l’univers est narrée par un personnage fictif, ce qui donne une identité au livre et permet de mieux visualiser le monde dans lequel on évolue. Ce procédé ajoute aussi une touche plus intimiste car il permet d’apprécier Headspace sous un regard subjectif. Le volet dédié aux corporations comporte quant à lui de faux documents pour bien s’imprégner encore une fois de leur identité.
En matière de design, le côté très voire trop cartoonesque de certaines illustrations contraste avec l’esprit éminemment sérieux de l’univers. Lors de notre partie, l’image que se faisaient les joueurs de leur personnage et l’exemple donné dans le livre ne collaient donc pas vraiment. On aurait également apprécié un peu plus d’illustrations, surtout quand on tombe sur la couverture très classe de Headspace.
Système de jeu : 1 cerveau pour le prix de 6
L’un des meilleurs systèmes que j’ai pu tester à ce jour. Pourtant, quand je discutais du jeu, je craignais de tomber dans une certaine redondance car c’était le troisième jeu Apocalypse que je découvrais en quelques mois. Et pourtant, quelle fraîcheur et quelle ingéniosité ! Chaque opérateur dispose de 3 compétences (ou moves, comme on les appelle dans ce système). Seulement trois ? Oui, mais… Les personnages sont incapables de manquer leur action. Ils réussissent toujours quand ils recourent à leurs propres moves. C’est ce qu’on appelle un professional move. Le Headspace leur permet toutefois d’utiliser les moves de leurs compagnons (même les opérateurs morts). On parle alors de Headspace move. Là, ils lancent 2D6 (réussite à partir de 10, réussite partielle entre 7 et 9 et échec en dessous). Ils ajoutent aux jets leurs modificateurs d’émotions, celles-ci faisant office de “caractéristiques”.
Vient ensuite la fiche de stress de la cellule. Les émotions (colère, peine, désir, ego et peur) sont de 4 niveaux et réparties sur la fiche. Pour chaque professional move, on augmente d’un niveau le stress lié à une émotion. Une fois le niveau 4 franchi, il y a un feedback, c’est-à-dire que des complications émotionnelles vont nuire aux actions des joueurs. Pour les Headspace moves, le stress n’a pas d’importance mais les jets en dessous de 10 s’accompagnent aussi de complications émotionnelles. En cas d’échec, un joueur peut vivre un flashback avec les autres quant à un regret passé pour transformer son jet raté en 10. L’intérêt de la fiche, c’est qu’elle contribue vraiment à créer la dynamique du groupe, ce qui se traduit hors jeu par des joueurs qui suivent avec intensité le niveau de stress. Et en jeu, cela permet aux joueurs et au MJ de décrire l’état émotionnel des personnages. En gros, un système qui illustre parfaitement le concept de conscience partagée.
Et quand on joue ? Superbe dynamique de groupe
Comme je viens de l’expliquer, Headspace dispose d’un système exacerbant la dynamique de groupe, ce qui est déjà le propre de tous les jeux propulsés par Apocalypse. Néanmoins, il faut attendre la première demi-heure avant que cette dynamique s’installe. Comme souvent avec le système Apocalypse, en particulier dans un univers éloigné du nôtre, il faut que les joueurs visualisent qui ils sont, où ils sont et ce qu’ils sont censés faire. Le MJ doit quant à lui créer un contexte en phase avec l’ambiance du jeu afin justement d’aider les joueurs à prendre leurs marques.
Une fois cette phase d’adaptation terminée, ce n’est que du bonheur. À la fin de notre partie, quasi tous les niveaux de stress étaient à fond, ce qui a contribué à rendre plus intenses les actions et les jets de dé. Si les joueurs sont moins de 6 autour de la table (ce qui est conseillé, entre nous), veillez à “donner vie” aux opérateurs fantômes, afin de crédibiliser davantage l’univers mais aussi d’aiguiller vos joueurs quand vous le jugez nécessaire. Finalement, le gros avantage du Headspace dans le jeu, c’est que les joueurs ont enfin une bonne raison de se séparer puisqu’ils sont tout le temps en communication. Ce qui non seulement ne pénalise pas les joueurs absents d’une scène (puisqu’ils ressentent les pensées et émotions des autres opérateurs) mais en plus encourage les groupes à se répartir des tâches.
Conclusion : faut traduire ce jeu en français !
Oui, oui et encore oui ! Il faut traduire Headspace en français. Les amateurs du système Apocalypse devraient y trouver leur compte, surtout si l’ambiance cyberpunk et le concept de conscience partagée les intéresse. Ses règles ne sont ni trop simples, ni trop complexes et s’insinuent avec grâce dans le contexte du jeu. La progression reste sommaire – un phénomène inhérent au système – mais il y a de quoi lancer une petite campagne. Sans compter qu’on peut toujours revenir dessus avec un nouveau groupe, la narration étant toujours différente et dépendante des opérateurs présents. Bref, à 10 dollars le PDF, je ne peux que vous recommander Headspace si la langue de Shakespeare ne vous effraie pas. Si vous voulez le jouer à la Molière, faites pression auprès de vos éditeurs préférés !
Des questions sur le système ? Des interrogations sur la conscience partagée ? Les commentaires sont là pour ça !
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Headspace est clairement l'un des meilleurs jeux que j'ai testés. Système à la fois simple, pertinent et élégant. Univers cyberpunk aux enjeux crédibles. Une synergie excellente entre les personnages. Et un concept de conscience partagée parfaitement mis en pratique.
Bof, pour y avoir joué j’ai pas trouvé ça top. Tout le côté cool du cyberpunk passe à la trappe pour être remplacé par un ersatz de Santa Barbara rempli de drama forcé, avec des agents spéciaux qui ont moins de contrôle sur leurs émotions que des collégiennes en crise d’adolescence. Une franche déception, je regrette d’avoir participé au financement participatif…
Merci pour le commentaire.
C’est bizarre, j’ai beaucoup de mal à m’aligner sur ta critique. Autant je comprends que même avec des arguments objectivables, une critique reste très subjective. Autant je me demande si les soucis que tu soulignes ne sont pas liés à ta partie plutôt qu’au jeu et à son système. Après, quoi qu’il en soit, c’est toujours embêtant de participer à un crowdfunding pour un truc qui nous a déçu, ça je peux l’entendre.