Vous ai-je déjà dit qu’une bonne série devait se terminer en vous pinçant légèrement le coeur ? Oui ? Non ? Bon, au pire, je me répète. Oui, une bonne série – toute oeuvre longue – doit se conclure avec un subtil mélange de satisfaction et de tristesse. La satisfaction d’avoir parcouru une histoire prenante, bien ficelée et savamment mise en scène ; la tristesse de se séparer de personnages auxquels on s’est attaché. C’est cette règle implicite qui a marqué le cinéma de divertissement des années 80. Ce cinéma auquel rend un si bel hommage Stranger Things (non mais regardez-moi ce magnifique poster, bon sang !).
C’est donc avec ce pincement au coeur que j’ai bouclé la première saison, disponible sur Netflix depuis vendredi et qui connaît déjà un succès fou. Etablir une relation si intense entre le spectateur et l’univers de la série en seulement 8 épisodes relève de l’exploit. J’applaudis donc Matt et Ross Duffer – deux frères jusqu’ici inconnus au bataillon – pour ce tour de force. Au vu du résultat, on oublie les nombreux pièges qui parsèment ce retour cinématographique dans le temps. Pourtant, les frères Duffer les ont quasi tous évités. Quasi.
Générique mystérieux avec musique électro ? Check !
Je le dis d’entrée de jeu : Stranger Things est une excellente série. Oui, excellente ! J’évoquerai quelques tares plus bas mais mon ressenti global est sans appel. Stranger Things est parti pour dominer les classements des meilleures séries de 2016. Pour cause, une ambiance années 80 fidèlement retranscrite, jusque dans l’esthétique. La maîtrise de la caméra transpire la nostalgie, tandis que la musique nous immerge en plein milieu des eighties. The Clash, Foreigner, Jefferson Airplane, The Bangles, Toto – pour ne citer qu’eux – figurent parmi les artistes de la tracklist rock, qui côtoie la composition électro de Kyle Dixon & Michael Stein. L’usage intensif du synthé trahit le label old-school de la série. En atteste le générique, qui se pare en plus d’une sobriété et d’une typographie qui renforcent la dimension rétro.
Si la musique et l’esthétique jouent un rôle nostalgique crucial, ce sont les détails qui émerveillent. A commencer par le langage, qui renvoie avec justesse aux idioms de l’époque. Je vous invite d’ailleurs à regarder Stranger Things en VO (toute autre option serait un sacrilège). Certaines répliques maladroites tombent à plat ou nous ramènent brutalement en 2016 mais dans l’ensemble, la restitution est réussie. Les décors servent également l’ambition anachronique de la série, avec moult références à la culture populaire. Les clichés type Star Wars ne sont bien sûr pas épargnés mais je pense à des oeuvres moins mainstream. Par exemple, des posters d’Evil Dead ou The Thing dans la chambre des adolescents. Autre clin d’oeil (volontaire ?) à l’époque : des placements de produit grossiers (genre la canette Coca-Cola en plein milieu de l’écran !). La télévision, la radio scolaire, les montres Casio, l’intimidation ou encore les “classes sociales” du lycée sont autant de thèmes abordés selon les codes de l’époque. En ce sens, Stranger Things se targue – à sa façon – d’une authenticité similaire à celle de Freaks and Geeks.
La référence ultime pour le rôliste que je suis fut sans conteste celle à Donjons & Dragons. Bien que mis en scène par des enfants de 12 ans et malgré quelques failles chez les acteurs, on ne tombe jamais dans le cliché. J’invite les The Big Bang Theory et autres à s’inspirer de l’exploitation habile que fait Stranger Things du jeu de rôle papier. En plus, le jeu sert ici pleinement la narration ainsi que la construction psychologique de ses protagonistes. C’est d’ailleurs autour des trois principaux personnages que s’articule la série – une référence de plus aux années 80. A l’époque, la majorité des héros étaient des gamins ou des adolescents ordinaires empêtrés dans des situations extraordinaires (pensez à E.T. ou aux Goonies). C’est précisément ce qui a fait rêver toute ma génération. Suivre les aventures du trio de tête m’a ainsi permis de retomber en enfance. Rien que pour ça, je dis merci !
Malheureusement, ce trio s’avère plutôt irrégulier dans ses performances… Finn Wolfhard, qui incarne Mike Wheeler, s’en sort plutôt bien avec sa prestation crédible du petit geek timide et héroïque. Caleb MacLauhgin (Lucas Sinclair) joue également bien le meilleur ami à la tête brûlée mais au coeur tendre. Petite parenthèse, le personnage afro-américain n’est jamais renvoyé à sa couleur, bravo les scénaristes. Celui qui gêne un peu, c’est Gaten Matarazzo dans le rôle de Dustin Henderson ou – comme je l’appelle – le sidekick rigolo. Il ne sert en effet que de caution comique. Ce n’est pas un problème en soi mais le traitement du personnage laisse à désirer. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, j’avais l’impression d’entendre un gosse de 12 ans version 2016 qui essaie de se la jouer bouffon de service dans une série “pour les grands”. Imaginez un môme qui tente d’imiter maladroitement Stiles dans Teen Wolf – ou Xander dans Buffy Contre les Vampires pour les plus vieux. Un surjeu qui se glisse jusque dans les mimiques du personnage, qui suscitent plus d’antipathie qu’autre chose – malgré le fait que l’acteur se débrouille bien.
Le reste du casting est… comment dire… c’est pas qu’il est mauvais. Au contraire, même. C’est juste que peu d’acteurs sortent du lot. Tous remplissent néanmoins leur cahier de charges. Que ce soit le shérif au passé lugubre qui s’investit dans la disparition d’un enfant. Les adolescents qui se disputent pour une fille. Le salaud de père qui a abandonné sa famille. La mère ultra-attentionnée que les enfants ingrats rejettent. Les méchants-pas-beaux en blouse blanche qui travaillent sur des projets mystérieux pour le gouvernement. Les officiers de police bêtes comme leurs pieds. Tous les gimmicks d’époque ont trouvé leur place dans Stranger Things. Mais une fois n’est pas coutume, ces gimmicks renforcent l’immersion et ne semblent à aucun moment surfaits ou gênants. J’en suis encore bluffé. Reste qu’aucun acteur ne parvient vraiment à briller au fil des épisodes.
Une bonne oeuvre doit être portée par des personnages attachants. Dans son ensemble, le casting de Stranger Things remplit très bien son cahier de charges.
Prenons Winona Ryder. La célèbre actrice a accaparé l’attention du public durant la promotion de la série. Or, elle ne vole la vedette à personne. J’ai même envie de dire que son interprétation de la mère hystérique qui recherche son enfant peine à susciter de l’empathie. Heureusement, l’actrice gère beaucoup mieux la seconde partie de la saison, après avoir mis de l’ordre dans ses idées. D’autres personnages, comme Jonathan Byers (Charlie Heaton) ou le shérif Jim Hopper (David Harbour) sont globalement convaincants mais on est toujours loin d’un Person of Interest ou d’un Daredevil (Saison 1, j’insiste !) en termes de personnages profonds et soignés. Ce qui manque toutefois à chaque personnage, les scénaristes le compensent en créant une superbe synergie. Comprenez par là que chaque protagoniste apporte sa pierre à l’édifice et contribue à la narration. Un mal pour un bien, donc.
Bon, quand j’ai dit qu’aucun acteur sortait du lot, c’était pas tout à fait vrai. Mon coup de coeur, c’est la jeune Millie Brown, qui campe le rôle de l’énigmatique Onze – Eleven en anglais, dont le diminutif est “El” ou “Elle” mais certainement pas “Elfe” comme dans les sous-titres ! Non pas que la prestation de l’actrice soit bluffante mais il s’agit d’un casting parfait. Comme si le rôle avait été écrit pour elle (ou celui de Dumbledore pour Richard Harris, vous me suivez ?). La physionomie de la (très) jeune actrice lui permet d’osciller entre la fillette innocente et adorable qu’on a envie de protéger à tout prix, et celui d’une badass qui peut devenir effrayante. Un ascenseur émotionnel déroutant pour un personnage bien pensé, bien construit et auquel on s’attache inévitablement.
Pour qu’une série comme Stranger Things honore son statut rétro, il faut bien sûr un scénario qui puise dans les repères de l’époque. C’était ma plus grosse crainte en lançant le premier épisode. Une crainte rapidement balayée et complètement évacuée à la fin de la saison. Si vous êtes jeune, la norme scénaristique dans le genre horreur/science-fiction joue aujourd’hui sur les rebondissements et les révélations last minute. Il y a 20 à 30 ans, les scénaristes misaient plus sur le parcours que la destination. C’est pourquoi les fins de films et séries surprenaient généralement beaucoup moins. Quoi qu’il en soit, Stranger Things suit un fil rouge assez limpide et la fin, bien que satisfaisante, est avare en surprises. Mais c’est justement ce qui en fait le charme, d’autant que le périple s’avère passionnant à suivre.
Stranger Things est une série qui respecte les codes d’une époque dont il s’inspire avec brio et abondance. A ne manquer sous aucun prétexte !
Je regrette simplement quelques clichés bien de notre temps (et pas les meilleurs) qui viennent ternir un scénario autrement excellent. Je pense à un triangle amoureux diablement simpliste et à la romance entre Mike et Onze (non, je vais plutôt dire Eleven, ça le fait pas en français…). S’il est légitime qu’un garçon et une fille développent des sentiments l’un pour l’autre à 12 ans, la manière dont ils sont mis en scène pue la série lambda pour ados des années 2010. Sans compter que Eleven (vous voyez que ça donne mieux !) est censée être déconnecté des us et coutumes sociaux. Un choix scénaristique qui laisse donc très perplexe. Quel dommage, dans la mesure où cette relation démarre très bien, avec ce qu’il faut de sensibilité et de crédibilité… Du coup, son évolution donne l’impression de faire passer des gamins des années 80 pour des ados précoces de 2016. De quoi trahir tout l’esprit de la série.
Stranger Things : verdict
Je vais le dire platement mais j’ai adoré regarder Stranger Things. Une série forte d’un casting qui se complète parfaitement, d’une bande son rock/électro magistrale et d’une ambiance qui fleure bon les années 80. On y retrouve d’ailleurs les meilleurs ingrédients, tant dans les détails que les sources d’inspiration. Un peu de X-Files, des Goonies, de Stephen King, et plein d’autres oeuvres qui font de Stranger Things la série de l’été, voire de l’année. Netflix a donc frappé très fort avec sa nouvelle coqueluche qui va fédérer beaucoup de monde, tant chez les jeunes que les plus vieux. Surtout les plus vieux. Voilà plus de 20 ans qu’on attendait – sans le savoir ? – ce retour aux sources de notre éducation en culture populaire. Pour le coup, Stranger Things parvient avec brio à nous rappeler à notre enfance et c’est précisément pour cela que cette première saison se conclut avec un mélange de satisfaction et de tristesse.
Salut, merci pour les détails.
bonjour, merci pour les informations
Petite remarque sur le surnom de Eleven
Dans la VO les enfants la surnomment bel et bien “elve” (elfe) c’est d’ailleurs l’une des références croisées avec D&D et facteur d’enthousiasme pour Mike
Dans la VO, Mike part du “011” inscrit sur son bras pour parler de “Eleven” et ensuite abréger “El”. A aucun moment, le trio masculin ne prononce “Elve”.
En tout cas, “elf”, en allemand, signifie onze ! :-)
J’ai vu la série en VO.
Franchement c’est une tuerie.
IMDB lui a collé une note de 9/10…on comprend pourquoi.