Sorti la semaine dernière, Logan a mis un terme à la plus longue carrière d’un super héros sur grand écran. C’en est fini de Wolverine au cinéma et oui, vous avez le droit de faire votre deuil et verser une petite larme – je ne m’en suis pas gêné. Dans cet ultime volet, James Mangold brise les codes du film de super héros. Il prend des risques osés, opte pour une esthétique et une thématique plus intimistes, plus humaines – quelle ironie ! Hugh Jackman joue le rôle de sa vie, accompagné d’un Patrick Stewart époustouflant et de la révélation Dafne Keen, un choix de casting parfait. Bref, Logan est sans conteste l’un des – si pas le – meilleurs films de super héros à ce jour… Sans en être un – quelle ironie bis ! Et vous savez ce qu’en ont retenu certains rédacteurs américains ? La longueur des cheveux de Wolverine…
C’est là qu’intervient David Shreve, auteur pour Audiences Everywhere, un site américain spécialisé dans l’art audiovisuel, en particulier le cinéma et la télévision. Dans son article, Shreve décide de réagir aux micro-polémiques qui entourent le film. Pas pour flatter son ego ou participer à la cour de récréation virtuelle mais plutôt pour tomber le masque d’une industrie malsaine, voire toxique. Celle du “journalisme cinéma”. Je suis presque frustré à la lecture de son article, tant j’aurais voulu l’écrire. Ayant travaillé brièvement dans le “journalisme jeu vidéo”, je comprends certains problèmes soulignés par Shreve et c’est pourquoi j’ai décidé – avec son autorisation – de traduire son article. L’industrie du cinéma va mal et si on peut en vouloir aux grandes compagnies friquées, il faut aussi mettre certains médias face à leurs responsabilités.
Mais les médias et les grosses boîtes ne sont pas les seules responsables. C’est là tout le propos de l’article. Les fans et les consommateurs sont eux aussi pointés du doigt. Pas d’un doigt accusateur et moralisateur qui se permettrait de juger la plèbe. L’auteur invite avant tout les fans à se questionner sur leur consommation des “informations” liées au cinéma. En particulier le cinéma populaire dédié aux super héros, l’une des plus grandes tendances cinématographiques de notre époque. Merci donc à David Shreve de m’avoir autorisé à traduire et publier son article, salutaire et vital pour le cinéma, qui rend un bel hommage à ce que devrait être le septième art.
Voici donc la traduction de l’article “Le réalisateur de Logan James Mangold fait la leçon aux sites de fans. Tant mieux. Ils sont toxiques.” (“Logan director James Mangold is taking fansites to task. Good. They’re toxic.”), publié le 6 mars 2017 sur Audiences Everywhere :
“Parfois, un film mûrit et se transforme après sa sortie. La culture évolue, la perspective change, le spectateur apprend à mieux cerner les intentions de l’artiste grâce à ses oeuvres suivantes. Un visionnage à tête reposée peut en outre changer la perception de l’histoire et offrir de nouveaux détails. Ainsi, redécouvrir un film peut le rendre meilleur ou pire, comme le démontrent Birth of a Nation ou Wet Hot American Summer. Les films évoluent. Généralement, cette évolution – comme n’importe quelle autre – prend du temps. Mais ce weekend, nous avons assisté à une mutation.
Logan, de James Mangold, met actuellement le feu à tous les compteurs. Le film marque les adieux de Hugh Jackman au personnage qui fut l’icone de la première génération de super héros des années 2000. Il détient le plus haut record sur le site d’évaluation Rotten Tomatoes pour un film de super héros depuis The Dark Knight. Il a également raflé 238 millions de dollars au box office mondial en seulement quelques jours. Et comme si ça ne suffisait pas, presque tout le monde aime le film.
Ce qui ne l’a pas empêché d’être critiqué.
Si des gens n’aiment pas Logan, je m’en fiche. Je ne suis pas du genre à m’en prendre au travail d’autres critiques. Je n’aime même pas débattre avec les fans de films que je n’aime pas (par contre, je vais défendre férocement les films que j’aime… parce que c’est comme ça que ça marche, jeunes gens). En réalité, nous faisons de notre mieux pour façonner la culture chez Audiences Everywhere afin que chaque article que nous écrivons et publions célèbre le cinéma, le film. Du moins, nous nous efforçons de comprendre ce que le film essaie de nous dire. Nous avons même gravé cette ambition dans notre cahier de charges interne :
Quand nous parlons cinéma, nous cherchons une conversation qui mette en évidence la passion, l’intelligence et la célébration que l’art cinématographique méritent.
Tout ça pour dire qu’en temps normal, je ne m’immiscerais pas dans une conversation en mentionnant le nom d’un autre rédacteur. Mais il existe certains rédacteurs dans le monde du cinéma, qui bombent particulièrement le torse dans le milieu des films de super héros et qui distillent leur poison. Ces rédacteurs ne servent pas le cinéma. En tout cas, pas de la façon dont le cinéma mérite d’être servi, la façon dont les films méritent d’être célébrés.
J’ai tendance à rester hors des conflits et querelles. Je tâche d’éviter toute once de négativité quand je le peux, à moins que cette négativité nuise au cinéma ou rabatte la joie des spectateurs.
La discussion qui suit répond à ces deux critères et, heureusement, cette fois-ci je me bats du côté de Logan et de James Mangold, donc je me sens plutôt bien.
Le soir de la sortie du film, Mangold a usé de termes forts [sur Twitter] pour corriger le critique Erick Weber. Celui-ci demandait au public s’il avait remarqué que les cheveux de Hugh Jackman étaient un peu plus courts dans une scène en particulier, sûrement pour confirmer une info qu’il avait balancée plus tôt (en fait j’en sais rien, je lis pas les conneries qu’il écrit). (Voici une traduction libre des tweets en question, ndlr) :
@ErickWeber Those scenes were shot week one, shit monger.
— Mangold (@mang0ld) 4 mars 2017
“Ces scènes ont été tournées la première semaine, fouteur de merde.”
Il a ensuite reproché à Umberto Gonzales (qui écrit pour The Wrap) de pinailler également, dans une prose presque présidentielle :
After reporting Deadpool appearing in LOGAN, @elmayimbe manages a delusional sense of vindication that there was a teaser b4 the film. SAD!
— Mangold (@mang0ld) 4 mars 2017
“Après avoir écrit sur l’apparition de Deadpool dans LOGAN, @elmayimbe s’extasie en prouvant qu’il avait raison quand il a vu qu’il y avait un teaser avant le film. TRISTE !”
Finalement, Mangold a publié une longue série de tweets pour expliquer sa réaction face à ce type de personnages (dont voici la compilation traduite, ndlr) :
“Les gens se demandent pourquoi j’attache de l’importance [à ces gens]. Eh bien j’y attache de l’importance car les réalisateurs font désormais leur film sous une sécurité étouffante à cause de rumeurs parasites. Ce qui nuit aux films. Alors imaginez une seconde un monde où les spectacles de magie deviendraient super populaires et lucratifs. Le scène serait le berceau d’une innovation et d’une créativité incroyables. Imaginez ensuite qu’une seconde industrie voie le jour, qui reposerait essentiellement sur des révélations secrètes et des caméras cachées, et qui donnerait des “informations” au public en dévoilant les trucs des magiciens.
Imaginez que ces “informateurs” montent les magiciens les uns contre les autres, créent des rivalités et des polémiques, se focalisent sur un magicien dans le pétrin. Imaginez que sous prétexte que les magiciens sont riches et célèbres, ces “informateurs” se définissent comme des journalistes oeuvrant pour révéler la vérité au grand jour. Imaginez que chaque fois qu’un magicien conteste le droit des “informateurs” de dévoiler ses trucs, celui-ci traite le magicien d’ennemi de la liberté d’expression.
Pendant ce temps, imaginez que dans ce monde magique, l’eau et la nourriture soient empoisonnées, que les médicaments ne soient accessibles qu’aux riches. Imaginez des politiciens corrompus et l’existence de notre planète menacée, des mers polluées et des armes de destruction massive entre les mains de fous. Et imaginez finalement que pendant ce temps, des gens passent la plupart de leurs temps à débattre des menottes de Houdini ou de comment Blackstone a coupé une femme en deux. Ou encore du fait de savoir si l’illusion était meilleure que l’an dernier ou pas… Imaginez.”
Vient alors Logan. Cette oeuvre, qui brille par ses nouveaux outils narratifs et une esthétique inédite pour un film de super héros, s’avère aussi résistante que son héros. C’en est poétique. Le film résiste à toutes les attaques issues de cette culture fanboyiste. Il parvient même à dévoiler les faiblesses de cette culture de par sa qualité et l’obstination de son réalisateur. Que ça nous plaise ou non, voilà où en est Logan, moins d’une semaine après sa sortie. En effet, trop de discussions sur Logan tournent autour d’éléments sans intérêt. Les cheveux de Hugh Jackman, l’absence de scène post-générique (c’est que de la pub, relax) et les pseudo-leçons tirées du succès d’un film classé R (pour un public mature aux États-Unis, ndlr).
Mais après tout, pourquoi pas ? En tant que plèbe qui consomme du film, nous passons désormais notre temps à cliquer. C’est ce qui compte dans une économie du clic. Une économie amorale et qui ne croit pas dans les fans. Une économie qui se fiche de la qualité de l’écriture, de son sens, de son intelligence, de ses intentions ou même de son authenticité. Le seul but dans cette rédaction affamée de clics, c’est de capitaliser. Peu importe que votre intérêt pour le film se mue en colère, en satisfaction, en curiosité, etc. Peu importe que la rédaction ait une influence positive sur votre expérience de spectateur. Quand nous autres critiques avions rejoint les fans du DC Cinematic Universe quand ils accusaient Disney de payer des critiques, nous avions aussi remarqué que de nombreux sites profitaient en réalité d’une presse négative, et qu’elle était encouragée par ces mêmes fans.
Ces “journalistes de scoop” obsédés par les clics ne rendent service à personne. Ils ne rendent pas service aux fans. Ils ne rendent pas non plus service aux vrais critiques. Et ils ne rendent certainement pas service aux films.
N’importe quelle autre semaine, j’aurais évité de me mouiller sur ce sujet brûlant. Mais il y a quelques jours, un message d’adieu fut publié sur le site Movie Mezzanine. Un blog indépendant qui répertoriait des articles de grande qualité, rédigés par des auteurs passionnés qui utilisaient toujours leurs analyses pointilleuses au service du film, et non l’inverse. Ce ne sont que le dernier site et les derniers auteurs à avoir cédé face à cette nouvelle industrie. Des auteurs dont l’engagement et l’éthique de travail ainsi que l’amour de l’art auraient donné lieu à des discussions intéressantes et intelligentes. Que ce soit sur la structure Western des années 70 qu’on retrouve dans Logan (car oui, cette dimension va au-delà de l’hommage rendu par l’extrait de L’Homme des Vallées Perdues). Ou sur l’intensité émotionnelle du film, sa narration qui n’est pas sans rappeler Les Fils de l’Homme. Ou encore sur le thème de la rédemption à travers le sacrifice violent, à la façon d’un John Rambo.
Ces sites, ces auteurs et cette tribu sacrée de critiques ne devraient pas avoir à lutter pour survivre. Car ces gens-là sont ceux qui sont de votre côté, ceux qui cherchent à élever la qualité de votre média narratif préféré. Ils ne devraient pas avoir à se battre pour exister. Pourtant, c’est ce qui arrive. Ils sont nombreux à avoir succombé et ils sont encore plus nombreux à épuiser leurs forces en ce moment même pour résister.
De l’autre côté, aucun signe de fatigue de la part de cette autre industrie du journalisme cinéma – qui se calcule en clics et en tendances du moment – dont l’objectif est de mesurer les cheveux de Hugh Jackman. De mettre en avant les scoops-qui-n’en-sont-pas sans qu’on leur reproche de faire du scoop. De nier au spectateur la joie de découvrir les invités surprises dans des films alors que la production n’est même pas terminée. Et de qualifier de “problèmes de production” n’importe quel tournage de dernière minute, juste pour faire paniquer des hordes de fans.
Pour l’anecdote, en juillet dernier, une poignée de ces journalistes les plus vocaux dans le milieu du cinéma de super héros étaient invités chez Zack Snyder sur le plateau de Justice League, un film alors à ses balbutiements. Comme par hasard, il s’agissait des rédacteurs ayant signé les pires réactions à l’encontre de Batman v Superman : L’Aube de la Justice. En fait, c’est comme si ces films étaient redevables à leurs critiques avant même d’être terminés. J’ai dit “comme si” ? Désolé. En fait, c’est exactement ce qu’indiquent ces vacances (probablement payées).
Il s’agit d’un problème d’ordre artistique. C’est le passage de l’art à l’industrie, avec des studios qui travaillent à la chaîne comme des usines, avec des contrôles qualité standardisés et promus par les consommateurs les plus vils et les plus bruyants. Si vous pensez qu’un artiste vous doit non seulement des excuses mais en plus une exclusivité sous forme de vacances à des consommateurs et des critiques, alors ne vous attendez plus à de l’art. Aucune autre forme d’art ne fonctionne de la sorte, le cinéma ne le devrait pas non plus.
Du coup, dorénavant, on se souviendra de Logan comme d’une belle allégorie. Le héros, qui a fait le marathon des films de super héros durant cette première partie du millénaire, a rencontré son pire ennemi dans son dernier film. Un clone sans âme, conçu par une industrie de second plan et machiavélique, qui essaie de s’approprier les pouvoirs des super héros mutants en leur ôtant leur compassion et leur humanité. Je trouve la métaphore cocasse et pertinente. Ce n’était probablement pas la lecture voulue par James Mangold quand il a lancé son projet mais il y a clairement une leçon à en tirer.
Mais une fois cette leçon tirée, une question : de quel côté êtes-vous ? Du côté de l’artiste qui a réalisé le meilleur volet dans l’histoire du super héros comptant la plus longue carrière sur grand écran ? Qui l’a fait en appliquant des codes issus d’autres genres qui ont fait leurs preuves ? Ou plutôt du côté de ceux qui éloignent votre attention de cette lecture profonde pour s’intéresser à la longueur des cheveux de Logan pour prouver qu’ils avaient raison ? Entre nous, je ne suis pas un grand fan des films de super héros récents. Je regrette leur standardisation en termes de production. Cela dit, je dois reconnaître que le cinéma n’a jamais connu un genre aussi vaste, dans la manière dont les univers étendus se construisent. Nous sommes donc face à une situation inédite en matière de narration. Et alors que nous arrivons à mi-chemin de ce voyage imaginaire, il faut se poser et réfléchir à l’avenir de ce genre nouveau. Nous devons trouver un moyen de laisser les auteurs et artistes faire leur boulot sans la pression de studios qui ressentent le besoin systématique de satisfaire une économie du clic. En gros, nous devons leur permettre de réitérer l’exploit de Logan (dans les univers Marvel et DC, ndlr). Si nous y arrivons, ce genre récent du cinéma peut accomplir de très grandes choses.
À vous donc de voir ce que vous voulez. À vous de choisir sur quoi vous voulez cliquer…”
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