Un mois après sa sortie au cinéma, j’émerge enfin de la multitude de questions qu’a suscitées dans mon esprit BlacKkKlansman… et je suis toujours sans réponse.
What have I just watched?!
Il m’aura fallu beaucoup de temps pour me résoudre à rédiger cette critique. La projection de BlacKkKlansman ne m’a pas laissé indifférent et a provoqué un torrent de réflexions dans mon esprit. Rien que pour ça, je salue Spike Lee. Il n’y a en effet rien de plus satisfaisant que de sortir d’une salle obscure en s’interrogeant sur les différentes strates de compréhension d’un film. Un exercice d’analyse que j’affectionne et qui s’est réalisé ici. Reste qu’après plusieurs semaines, j’ai toujours du mal à cerner la volonté du scénariste/réalisateur connu pour des chefs-d’oeuvre tels Do the Right Thing ou l’excellent Malcolm X. C’est pourquoi, afin de vous faire part de mon analyse, cette critique contiendra exceptionnellement des spoilers.
Pour rappel, BlacKkKlansman s’inspire (et c’est un bien grand mot) du livre Black Klansman de Ron Stallworth, ex-policier noir du Colorado qui y raconte comment il a infiltré le Ku Klux Klan dans les années 70. Or, et c’est probablement ce qui m’a le plus interpellé, BlacKkKlansman prend trop de libertés par rapport au livre pour raconter une histoire qui, malgré sa double lecture ô combien pertinente et nécessaire, manque de crédibilité. Quand elle ne se vautre pas simplement dans la comédie lambda qui risque de miner le véritable propos du film.
Du Spike Lee très subtil… trop subtil ?
Abordons d’abord la surcouche comique du film. Celle-ci paraît gratuite. Elle ne l’est pas. Du moins, pas tout le temps. Elle contraste même volontairement avec le sujet. Je pense notamment à cette scène où un membre du Ku Klux Klan, allongé avec sa femme, rêve de tuer des noirs. Ils en parlent comme de ces vieux plaisirs coupables de couples qui n’ont jamais osé franchir le cap. Ils auraient pu parler de leurs vacances à Hawaï sur le même ton. D’ailleurs, tous les membres du KKK passent pour de parfaits abrutis désorganisés. Même l’ex-Grand Sorcier David Duke est dépeint en clown, grâce à la prestation exquise d’un Topher Grace qui joue parfaitement l’identitaire privilégié.
Pris tels quels, ces éléments renvoient à la parodie. Et il y a de fortes chances que les gens s’arrêtent à cette image. Or, quand on regarde le film dans son ensemble, cet humour décalé peut prendre un autre sens. Par exemple, tous ces bras cassés du KKK qui n’arrivent même pas à brûler une croix se retrouvent à la fin – c’est-à-dire quand la police demande au héros de cesser son enquête, jugeant qu’elle n’est plus nécessaire – devant la maison de Stallworth, cagoulés, autour d’une énorme croix en feu. Cette scène, qui déshumanise et rend donc plus dangereux les terroristes, est lourde de sens. Elle nous rappelle que l’absence de vigilance contre la haine n’est pas permise. Le souci, c’est que BlacKkKlansman prend le risque, avec son absurdité mal dosée, d’occulter ce propos de fond pourtant d’actualité.
Un propos pertinent et d’actualité
Heureusement, Spike Lee prend le contrôle total de la caméra à quelques reprises pour nous interpeller de manière esthétique et intelligente. Là encore, une scène me vient à l’esprit. Celle où on voit, en parallèle, des membres du KKK en pleine cérémonie et des militant.e.s noir.e.s en présence de Jerome Turner, un vieil activiste partageant son vécu et ses expériences. Les membres du Klan boivent, mangent, festoient et regardent un film (The Birth of a Nation, alias The Clansman, qui a donné un second souffle au KKK au début du 20e siècle et est considéré comme un monument du cinéma, malgré son propos foncièrement raciste). Entre temps, Turner raconte l’histoire du lynchage de Jesse Washington.
Le montage en alternance illustre parfaitement le contraste entre deux situations diamétralement opposées, qui rend toute comparaison impossible. Pourtant, à l’époque, des groupes militants noirs étaient considérés au même titre que le KKK par les autorités. Or, nous avons d’un côté des fanatiques qui n’ont pas à s’inquiéter pour leur sécurité et qui voient leur idéologie mortifère renforcée par un film. De l’autre, nous avons un homme qui explique qu’il est nécessaire de se mobiliser pour ne plus être victime d’un système qui traite différemment les gens selon la couleur de leur peau. Qu’il n’y a pas de honte à être noir.e et à lutter pour ses droits. Du coup, les slogans “White Power” et “Black Power” entonnés par les deux groupes revêtent un sens totalement différent.
C’est dans ces moments-là que BlacKkKlansman prend tout son sens. Quand le réalisateur sort de la fiction lambda pour s’adresser à nous et expliquer clairement son propos. Le but n’est pas d’assigner des bons ou des mauvais points. De nous dire qui sont les gentils et les méchants. Mais de nous rappeler que tout n’est pas relatif. Que dans une société, avec son histoire et son contexte, il existe des rapports de force qui empêchent de comparer tout et n’importe quoi. Ce même contexte qui amène le chef du héros à lui dire qu’il n’est plus nécessaire d’enquêter sur le KKK, alors que les Black Panthers, eux, poseraient toujours problème.
Là où le black blesse… (désolé pour ce jeu de mots)
En dehors de ces moments d’une grande lucidité, BlacKkKlansman souffre d’un manque criant de crédibilité. Outre l’humour qui frôle la contre-productivité, plusieurs rebondissements ne tiennent pas la route. Par exemple, le film met en scène un policier blanc qu’on peut facilement qualifier de “connard” (je reste poli) doublé d’un raciste qui abuse de son pouvoir pour tripoter les militantes noires qu’il arrête sur la route. Sympathisant KKK, ce personnage est pris au piège à la fin du film par Stallworth et ses coéquipiers avant d’être viré de la police. Un retournement digne d’un feel good movie médiocre, avec 30 ans de retard. Peut-être y a-t-il là encore un message caché (j’ai ma petite idée là-dessus mais ce sera pour les commentaires) mais c’est tellement gros qu’on ne peut que facepalmer.
Si l’on peut regretter ces superficialités et autres tournures maladroites, on ne peut pas reprocher grand-chose au casting. À commencer par un John David Washington aussi nonchalant qu’attachant, qui nous dépeint un héros à la fois lassé et passionné. Il peut compter sur le talentueux Adam Driver, le coéquipier juif qui se fait passer pour Ron Stallworth en infiltrant physiquement le KKK. Driver est plutôt doué pour jouer les personnages drôles malgré eux et incarne bien le proto-raciste qui veut intégrer le Klan. Reste Laura Harrier, qui campe parfaitement le rôle de la militante afro des 70s, avec une vibe Angela Davis, même si le ton du film prend le risque de la rendre trop caricaturale.
Un film instructif, si on prend le temps de le comprendre
À ce jour, je ne sais dire si j’ai aimé ou non BlacKkKlansman en tant que film. Peut-être devrais-je le revoir. Mais le propos de Spike Lee, lui, me paraît très pertinents. Les thématiques abordées, tels que le racisme institutionnel, le privilège social et la discrimination y sont traitées sous un angle intéressant, interpellant même. Certaines tournures improbables et un humour trop prononcé risquent de faire de l’ombre au propos ingénieux du film, même si les scènes réelles de fin nous rappellent de manière brutale ce dont parle réellement le film. En revanche, n’espérez pas y découvrir “l’histoire vraie” de Ron Stallworth, Spike Lee prenant trop de libertés avec l’oeuvre originale pour le bien du film.
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à faire un tour sur le site officiel de BlacKkKlansman.
À bientôt sur Sitegeek.fr,
Musa
Bande-annonce