Très attendu pour son parti pris réaliste et simulationniste, Kingdom Come : Deliverance est sorti il y a quelques semaines. Hélas, le jeu s’avère aussi techniquement à la ramasse et souffre des postulats racistes de son concepteur.
Un après-midi avec Kingdom Come : Deliverance sur PS4
Bien qu’enthousiasmé par la campagne Kickstarter qui a lancé Kingdom Come : Deliverance, le jeu de Warhorse Studios ne suscitait pas de grosses attentes, en ce qui me concerne. Ce n’est qu’au fil du temps que son parti pris réaliste m’a intrigué, voire enthousiasmé. Un RPG qui laisse tomber les quêtes épiques teintées de magie, de prophéties et de créatures extraordinaires au profit d’un contexte politique assez banal pour le Moyen-Âge… Fallait oser !
Ce seul choix mérite d’être souligné et salué, d’autant que le studio tchèque avait à coeur de reconstruire un univers où le réalisme devait frôler la simulation, loin de toutes ces situations incohérentes qu’on rencontre dans de grands RPG tels que The Witcher ou Skyrim. Là encore, respect. Un choix culotté qui porte ses fruits aujourd’hui, si l’on en croit les ventes plus qu’honorables de Kingdom Come : Deliverance. Ce qui surprend, d’ailleurs, vu les problèmes techniques ahurissants du jeu, sans compter les polémiques qu’il a suscitées concernant son éventuel racisme. Une accusation qu’il convient de nuancer et sur laquelle je tâcherai de revenir plus en détails.
C’est beau mais de loin…
Réalisme est incontestablement le maître-mot dans Kingdom Come : Deliverance. Dès les premières heures passées à côtoyer le beau monde du Royaume de Bohême au XVe siècle, on sent le soin apporté à la vie ambiante dans chaque ville ou village. Rien n’est anodin. Les décors s’avèrent assez génériques mais sous les gesticulations triviales des habitants se cachent une précision et une logique implacables. Outre les ateliers des artisans et commerçants, ce sont leurs rythmes, leurs va-et-vients et leurs occupations qui trahissent la justesse qu’a voulu retranscrire Warhorse. Les postes de garde, les tavernes qui se remplissent ou encore les mendiants qui se trouvent un coin pépère sont autant d’exemples du réalisme visuel qu’ont tenté d’octroyer les développeurs à leur titre.
Ce soin explique probablement le retard technique du jeu et son nombre astronomique de bugs. Au lancement, il est d’ailleurs impossible de se forger un avis global sur son esthétique tant elle est irrégulière. Entre des cinématiques immersives, des expressions faciales inexistantes, des textures qui ressemblent à de la pâte à modeler périmée dès qu’on s’en approche et des paysages magnifiques quand on s’en éloigne, difficile de s’y retrouver. La direction artistique aussi y passe, entre des intérieurs ternes et d’autres somptueux, qui témoignent une nouvelle fois de la volonté de recréer un contexte authentique. Bref, Kingdom Come : Deliverance est un ascenseur visuel mais quid du son ? Irrégulier aussi. La VF est correcte mais des bugs renvoient à l’anglais (voire à l’allemand). Je recommande par ailleurs la VO, de bien meilleure qualité. Quant à la musique, elle s’avère discrète mais colle au ton, privilégiant les thèmes et sons d’ambiance.
Plus réaliste, tu meurs !
Le réalisme du jeu ne s’arrête pas à son esthétique chaotique, il se fond intégralement au gameplay. Je n’ai jamais vu de RPG de cette ampleur proposer une immersion aussi poussée, quitte à décourager des joueurs (j’y reviendrai). Le cycle jour/nuit ne se contente pas de décorer, il a des implications concrètes sur le jeu et ce jeune Henry désabusé que vous incarnez. Il doit manger, se reposer, se nettoyer, se changer, se soustraire à l’attention des gens éventuellement, se soigner et plein d’autres variables aux conséquences diverses. De quoi donner le tournis tant les paramètres à prendre en compte sont riches et nombreux. Ainsi, côtoyer des gens d’un certain standing avec des vêtements de prolétaire mal lavés ou usés aura un impact sur vos interactions. De même, vous faufiler dans une baraque de nuit vous mènera droit au cachot si vous êtes pris. Et tout cela a des conséquences sur votre réputation dans la région.
À propos d’interactions, notez que celles-ci seront extrêmement nombreuses. En cela, Kingdom Come : Deliverance accorde une grande importance aux dialogues, ce qui ne sera pas du luxe vu la difficulté des combats. Vous disposez de plusieurs approches lors des conversations pour charmer ou intimider votre interlocuteur. Ensuite, des données chiffrées s’affrontent – tout en prenant en compte les paramètres susmentionnés – et pour déterminer tore réussite ou non. Encore une fois, cette réussite ou cet échec ne sont pas anodins et ont des implications sur la perception qu’ont les gens de vous. Comprenez donc qu’en matière d’immersion et de réalisme, Kingdom Come : Deliverance fait fort et les conséquences peuvent rapidement s’avérer dangereuses, voire fatales. Donc si vous espériez déambuler n’importe où à faire n’importe quoi comme dans la majorité des RPG triple A, ne rêvez pas. Bravo encore à Warhorse pour cet excès de réalisme.
L’interface aussi devait être médiévale ?
Je ne m’attarderai pas dessus mais l’interface est tout simplement désastreuse. Outre son design qui semble aussi sorti du Moyen-Âge, il est contre-intuitif, lent et pas toujours lisible. L’inventaire est digne d’un RPG de la fin des années 90 sur PC, tandis que la carte ressemble à une carte postale baroque plutôt jolie mais peu intelligible. Idem pour le système de voyage instantané, qui est pourtant nécessaire sachant que la conduite du cheval est catastrophique.
On peut également pester sur le chargement d’introduction qui constitue la pseudo-cinématique de début et qu’on doit se retaper ad nauseam (si vous avez trouvé une méthode pour le passer, merci de me le dire). Pire, on pourrait croire que ce chargement sert à calculer toutes les données du jeu mais non, puisque quand on charge sa partie, c’est parti pour un autre chargement. Et là encore, on se demande à quoi ça sert car changer de zone de jeu ou même dialoguer impliquent des chargements. On est découragé rien qu’en lançant le jeu, alors quand il bugue et qu’il faut relancer, on a qu’une envie, faire valser la manette et changer de jeu.
Le prix du réalisme…
Un test exhaustif de Kingdom Come : Deliverance prendrait des heures, ce qui constitue un gage d’amour de la part des développeur. Un amour sincère qui suscite la réflexion et qui constitue tout ce que l’on doit retrouver, à mon sens, dans la culture. Reste que l’exécution ne suit pas et on se retrouve ici face à un potentiel gâché. Kingdom Come : Deliverance accuse un retard technique à la limite de l’indécence, que j’ai déjà longuement abordé plus haut.
Mais le jeu s’affuble d’un autre problème, plus subjectif et voulu par le développeur. Car le souci du réalisme, c’est qu’il s’accompagne d’une difficulté à même de dégoûter un certain public. Ce n’est pas un défaut dans l’absolu mais j’ai par exemple du mal avec les combats, très (trop) exigeants. Il faut s’y coller longtemps pour prendre la main, comprendre le cercle en milieu d’écran pour choisir par quel angle attaquer. Il faut également prendre en compte les armes et armures pour savoir si l’on va toucher l’adversaire. On doit ensuite veiller à laver ses vêtements ou à en porter de neufs pour pouvoir accéder à X ou Y endroit. Certes, tout cela est réaliste et très impressionnant mais plusieurs fois, j’y ai vu un frein à ma progression. C’est subjectif, je sais, mais je suis convaincu qu’un certain public, a priori intéressé par le jeu et son histoire habilement écrite, baisseront les bras. C’est dommage.
… et le spectre du racisme
Parlons-en de l’histoire, d’ailleurs. Tout d’abord, l’histoire avec un petit h, celle du jeu. Bien que lente, elle se déroule à un rythme régulier. Après le prologue relativement long, elle connaît même un sursaut et permet au joueur d’explorer la carte assez vaste pour découvrir les quêtes secondaires. À l’image du reste, ces dernières s’avèrent intelligemment conçues et il est possible de les résoudre de multiples façons, voire de ne pas les résoudre car oui, cela peut avoir un intérêt également. Une écriture dans l’ensemble réussie donc, malgré quelques quêtes foireuses et diablement difficiles. Ce qui me permet d’enchaîner sans transition sur la polémique qui a entouré le jeu. Tous les personnages y sont blancs, ce qui a donné lieu à des polémiques parfois futiles dont on retire toutefois des enseignements très intéressants.
Oui, Warhorse est accusé d’avoir créé un jeu en Europe de l’Est avec des personnages uniquement blancs. Et non, ce n’est pas un problème dans l’absolu. Il est tout à fait possible d’imaginer qu’à l’époque, les gens qui occupaient les villes et villages qu’on visite étaient blancs. Ce que je trouve problématique par contre, c’est que le directeur créatif du jeu sorte la carte du “politiquement correct” pour justifier son choix et faire taire ses détracteurs. Son argument étant : le jeu est ultra-réaliste, il n’y avait pas de blancs là-bas à l’Époque. Or, plusieurs personnes férues d’histoire ont, arguments à l’appui, déconstruit ce postulat. Du coup, il s’agit bien d’un choix des développeurs (et c’est leur liberté artistique), qui relève plutôt d’un fantasme et non pas d’une réalité indiscutable.
Néanmoins, plutôt que de crier au racisme avec la foule virtuelle, je me suis intéressé au directeur créatif pour mieux comprendre son point de vue et surtout voir d’où il s’exprimait. Et il s’est avéré que le gars alimentait des thèses racistes ou xénophobes. Le genre de personnes qui explique par exemple sur Twitter que l’islam est consubstantiel au terrorisme, avec comme argument choc : “vous avez déjà vu des bouddhistes terroristes ?”. Outre le fait que la réponse à cette question soit oui (c’est pas le sujet), cela remet en perspective le “réalisme historique” du personnage, qui s’inspire plus de ses propres aspirations et de ses fantasmes que des seuls faits documentés. Je pense qu’il est important de le souligner car on nous a vendu ce jeu comme étant historiquement très authentique, sans tenir compte des présupposés idéologiques très marqués de ses concepteurs. Ce qui n’ôte rien aux autres aspects réalistes du jeu, par ailleurs.
Résumé des scores
Graphismes
Jouabilité
Bande son
Scénario
Technique et interface
Tout ça pour ça
Une prestation en deçà de ses belles promesses. Kingdom Come : Deliverance est un jeu truffé de bugs, malgré ses bonnes intentions et l'amour de ses développeurs. Reste que le jeu sort du lot et ose sortir des sentiers battus dans un genre où les codes semblent fort figés.
Revue de presse
6/10Gamekult |
–/20Gamergen |
14/20JV.com |
8/10Gameblog |
Un jeu pour ceux qui savent ce qu’ils veulent
Très sincèrement, malgré les qualités que je mets en avant, je n’ai pas aimé Kingdom Come : Deliverance. Si je sais faire la part des choses entre un auteur et une oeuvre, j’ai déjà plus de mal face à ce qui me semble être, de la part du directeur créatif, de la malhonnêteté intellectuelle. C’est dommage car cela risque de faire de l’ombre au travail du reste de l’énorme équipe qui a travaillé sur ce jeu. Mais même en dehors de la polémique qu’a suscité Kingdom Come : Deliverance, le jeu souffre de défauts inadmissibles pour un jeu payé au prix plein. Ne serait-ce que les bugs à foison pas résolus malgré près de 40Go de patch. Comment peut-on sortir un jeu pareil sans en avoir conscience ? On peut également pester sur les graphismes irréguliers ou encore la difficulté peu modulable due à un réalisme forcené qui risque de rebuter des joueurs.
Les autres, les plus patients, trouveront toutefois leur compte dans ce jeu qui a été conçu avec un amour indéniable, tandis que les amateurs de réalisme pur et dur apprécieront la quantité énorme de paramètres et variables qui rendront chaque aventure dans Kingdom Come : Deliverance unique. Sachez donc dans quoi vous vous lancez avant d’investir.
Plus d’infos sur le site officiel de Kingdom Come : Deliverance.
À très bientôt sur Sitegeek,
Musa
Des bugs, des bugs, des bugs
Bande-annonce :
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Amazing post dear.
Bluffant de réalisme. Merci Emma