Urban Shadows est un jeu de rôle publié par Magpie Games. Sorti en juillet 2015 en anglais, ce livre de 300 pages vous propose d’incarner vampires, loups-garou, chasseurs de monstres et autres joyeusetés surnaturelles dans un contexte politique obscur.
“MJ plisse les yeux, gesticule les mains et s’improvise la voix grave d’une bande-annonce américaine : Bienvenue à New York…
PJ 3 l’interrompt : Quoi ? Encore ? Mais on a déjà joué à New York !
MJ, toujours les mains levées devant lui et l’air idiot : Bon ben merci d’avoir gâché mon intro…
PJ 3 semble regretter : Désolé… mais bon, c’est vrai quoi, on a déjà fait New York.
PJ 2 regarde PJ 3 sans comprendre : Et alors ? C’est pas parce que ça se passe dans la même ville que c’est le même jeu.
MJ qui tend la main vers PJ 2 : Ah ben merci, y en a au moins un qui a compris.
PJ 2 sourit comme un premier de la classe et poursuit (un peu trop) innocemment : Et donc, histoire d’enchaîner là-dessus, j’ai choisi mon perso.
PJ 1 le regarde surpris : Quoi ? Mais j’ai même pas encore vu les fiches, moi… Donne-moi ça.
MJ : Euh oui, les fiches étaient sur la table.
PJ 2 : Et donc je vais jouer le vampire.
PJ 3 : Quoi ? Y a des vampires ? Mais y en avait pas la dernière fois à New York…
MJ, PJ 1 et PJ 2 fixent PJ 3 et hochent la tête en plissant la bouche, un soupçon de compassion (ou de pitié ?) dans le regard. Peut-être est-ce l’imagination du narrateur mais il aurait juré entendre des criquets (oui, dans un immeuble à appartements, au 7e étage… c’est tout à fait possible !).
PJ 1 : Enfin cela dit, je suis pas d’accord moi, il a choisi le vampire alors qu’on n’avait même pas vu les fiches, nous.
MJ prend une fiche au hasard : Ouais ben c’est pas grave, t’as encore d’autres chouettes archétypes, tiens, regarde.
PJ 1 regarde MJ d’un air perplexe en lui montrant sa fiche : Un humain… franchement ?
MJ qui prend la fiche et essaie de lui vendre le personnage du mieux qu’il peut : Non mais attention, c’est pas n’importe quel humain ! C’est un humain qui a *conscience* que les êtres surnaturels existent ! C’est pas la même chose.
PJ 1 lui lance un regard noir et MJ comprend qu’il n’arrivera pas à le convaincre. Il laisse tomber la fiche et en cherche une autre.
PJ 1 croise les bras et dit d’un ton nonchalant : Je veux aussi être un vampire.
MJ : Non mais j’ai pas d’autre fiche de vampire… mais c’est pas grave, regarde, tu peux aussi jouer un fantôme.
PJ 1 qui ne regarde même pas MJ mais répond avec un soupçon de dédain : Je vois pas pourquoi lui serait un vampire et pas moi.
MJ qui élude la question et dit d’un ton encourageant : Regarde, j’ai aussi une fée !
PJ 2 : Mais ça va, arrête de râler, c’est qu’un jeu. Tu la veux tant que ça, la fiche de vampire ?
Prenant la question pour une invitation, PJ 1 se tourne vers PJ 2. Il tend alors la main vers la fiche mais PJ 2 la prend et la colle contre son torse.
PJ 2 dit à voix basse, sans regarder son camarade de jeu : Non mais celle-là, elle est à moi hein… euh… je l’ai vue en premier.
MJ soupire : Bon, les gars, s’il vous plaît. Mettez-vous d’accord et choisissez une fiche, qu’on puisse jouer. Vous allez voir, c’est un univers mature, sérieux, avec plein d’intrigues. C’est génial, peu importe votre archétype.
PJ 3 regarde sa fiche, qu’il a choisie entre temps, avec un grand sourire sur le visage : Moi, je suis prêt.
MJ qui retrouve aussi le sourire : Ah, super ! Alors, parle-nous de ton personnage.
PJ 3 se redresse bien sur sa chaise, se racle la gorge et commence : Alors je suis un sorcier qui a combattu autrefois les vampires à Manhattan. Malheureusement, nous avons perdu cette guerre et nous sommes obligés de vivre reclus, dans un coin de Brooklyn. Je tiens une petite boutique de magie où les superstitieux viennent acheter leurs cendres de chêne et autres elixirs qui ne servent à rien car en réalité (dit-il sur un ton très théâtral), mon atelier sur trouve dans l’arrière-boutique. Les vrais connaisseurs et les être surnaturels y viennent pour trouver de vraies potions, des talismans ancestraux ainsi que des reliques ayant appartenu aux plus grands mages, disparus au cours des siècles.
MJ et PJ 2 hochent la tête en souriant, visiblement satisfaits par cette présentation.
MJ : Excellent, j’adore. Ça colle très bien à l’ambiance. Et toi ?
PJ 2 : Eh bien moi, je suis un vampire du clan qui a combattu les sorciers il y a des années. Relativement jeune, je ne souffre pas des cicatrices psychologiques qu’aurait pu laisser un tel conflit. Pire, je suis même perplexe quant à la mainmise du clan sur Manhattan, qui contrôle l’île ainsi que tout ceux qui s’y aventurent. Une trêve fut signée avec les autres groupes mais en réalité celle-ci profite de manière injuste au clan. D’ailleurs, cette paix ne serait qu’un leurre car ces dernières décennies, les vampires seraient en train de mijoter un plan machiavélique. Certaines rumeurs folles évoqueraient même l’éradication des autres êtres surnaturels…
MJ : Super, ça va vraiment nous permettre de créer une ambiance avec beaucoup d’intrigues, de la trahison, de la tension, j’aime ça ! (Il se tourne vers PJ 1 qui ne fait plus mine de bouder) Et toi, tu as trouvé une idée pour ton personnage ?
PJ 1 en surjouant un peu : Oh oui, bien sûr ! Alors moi je suis un loup-garou obèse, j’ai rien à voir avec les autres loups-garou, je sais même pas où ils vivent, ni ce qu’ils font. Je m’en fous. Je suis assistant social et j’ai un penchant pour le sucre. Mon meilleur pote est mon collègue, un vieil homme blasé qui a un penchant pour les magazines pour adultes. Je suis aussi très perplexe quant à la nécessité de toute cette violence entre les espèces, franchement, on devrait juste s’aimer les uns, les autres… alors, ça te va, comme perso ?
MJ : …”
On décortique Urban Shadows
Après la couverture ci-contre, le PDF de Urban Shadows enchaîne avec l’équipe derrière le jeu, les références, un mot de remerciement et une table des matières. Urban Shadows contient :
- Zero – The Preface (8 pages) décrit brièvement le concept d’une ville peuplée de monstres, aborde la subversion (en proposant d’incarner des personnages variés et typés) et mentionne le matériel physique et virtuel requis ;
- One – The Basics (12 pages) revient sur la dimension narrative des jeux propulsés par Apocalypse, sur les moves ainsi que les notions liées au jeu de rôle, avant de poursuivre avec l’importance du contexte et du contrat social ;
- Two – The Characters (10 pages) aborde la création de personnage, ses statistiques personnelles, celles de sa faction, les questions posées aux archétypes et propose une introduction aux concepts de drama moves et de dette ;
- Three – The Moves (42 pages) décrit en détails les moves et leurs modalités d’emploi, de même pour les moves de faction, les dettes et les drama moves, pour ensuite s’intéresser à la structure des séances de jeu ;
- Four – The Archetypes (68 pages) livre toutes les informations portant sur les archétypes que les joueurs peuvent incarner, à savoir le conscient (aware), le chasseur (hunter) et le vétéran pour la faction des mortels ; le spectre, le vampire et le loup-garou (faction de la nuit), l’oracle et le sorcier (faction du pouvoir), le féetaud (fae) et le souillé (faction des indomptés) ;
- Five – The Streets (14 pages) parle des blessures, des soins, des conséquences, de l’équipement et des mécanismes de combat pour les groupes ;
- Six – The Long Game (18 pages) explique comment progresser, en tant qu’individu ou au sein d’une faction, et définit la corruption ainsi que ses implications dans le jeu ;
- Seven – The Master of Ceremonies (46 pages) est destiné au MJ, ce qui se traduit par un résumé des principes fondamentaux du jeu, une description de ses moves et une flopée de conseils ;
- Eight – The First Session (22 pages) constitue aussi une aide de jeu pour le MJ et revient sur les points à respecter lors de la première partie, avant de proposer un très long exemple ;
- Nine – The Storm (24 pages) définit le concept de menaces, c’est-à-dire des forces vives qui veulent exercer une influence néfaste sur le contexte de jeu, le tout inscrit sur une horloge servant de compte-à-rebours ;
- Ten – The Shadows (20 pages) permet de créer ses propres moves, en concertation entre les joueurs et le MJ, et livre quelques astuces pour mener une partie avec un seul joueur.
Et comme d’habitude, Urban Shadows se conclut par la liste des auteurs et artistes ainsi que des contributeurs, suivie d’un index.
Univers : du Monsterhearts pour adultes
Les auteurs l’assument complètement puisqu’ils le mentionnent dans le livre : Monsterhearts est l’une des sources d’inspiration d’Urban Shadows. Une inspiration confirmée à la lecture du livre. Pour rappel, Monsterhearts est un jeu propulsé par Apocalypse qui permet d’incarner des êtres surnaturels à l’adolescence, avec tout ce que ça implique de mélodrame. Urban Shadows propose un univers plus mature, avec des enjeux plus résonnants.
Comme tout jeu Apocalypse, la dynamique de groupe est au coeur du système mais Urban Shadows l’étoffe avec les factions. Celles-ci, qui s’insinuent au coeur même du système, donnent lieu à des interactions qui dépassent le simple statut de vampire, de loup-garou ou encore de fantôme. Les intérêts des factions, leur place dans la ville – qui sert de terrain de jeu – ainsi que leur impact sur la psychologie et les relations des PJ donnent une dimension bien plus grandiose à l’univers et à l’histoire. Du coup, si Monsterhearts ressemble un peu plus à du Buffy Contre les Vampires, Urban Shadows renvoie davantage à Underworld. En mieux, parce qu’on a plus de factions, plus de types d’êtres surnaturels et surtout des enjeux politiques et obscurs au service de la narration.
Design et lisibilité : pages… pages everywhere
Permettez-moi de commencer par un soupir. Lire Urban Shadows n’est pas de tout repos. Avec sa police grise (assez terne) et ses pages qui se suivent et se ressemblent, autant dire qu’il faut s’accrocher pour en venir à bout. Je vous avoue même avoir zappé plusieurs passages du bouquin. Le premier défaut que je relève – qui risque de paraître subjectif -, c’est le nombre d’illustrations. En deçà du minimum syndical, elles restent malgré tout très jolies et dans le ton (voir ci-dessus). Mais on les compte sur les doigts de la main, un problème à deux égards. D’abord, la lecture prend un rythme excessivement lourd et on fait défiler les pages pour en voir le bout. Deuxièmement, malgré la qualité du texte et de l’univers, les illustrations restent un excellent moyen de nourrir l’imagination du MJ et des joueurs. Ici, le cerveau reste sur sa faim.
Outre ce condensé de texte qui finit par lasser (on peut passer jusqu’à 46 pages sans la moindre différence de structure de texte), certains passages sont trop généreux en détails. De nombreuses subtilités et répétitions viennent inutilement alourdir le livre. La bonne nouvelle, c’est qu’on n’est pas obligé de tout lire d’un coup, comme c’est souvent le cas dans du Apocalypse. On peut même découvrir certains éléments lors de la partie, comme les effets spécifiques de certains moves. Hormis ces désagréments, Urban Shadows est bien écrit, plutôt pédagogique et propose une légion d’exemples longs pour permettre au joueur de bien comprendre les mécanismes du jeu.
Système de jeu : du Apocalypse à long terme ?
Vous connaissez le principe du système Apocalypse, avec ses 2D6 et sa réussite (à 10 ou plus), sa réussite mitigée (entre 7 et 9) et son échec (à 6 ou moins). Urban Shadows reprend le système, tandis que ses basic moves (les compétences qui requièrent les jets de dés) ne proposent rien de bien neuf. Il dispose en revanche de nombreuses possibilités d’évolution, qu’il s’agisse de la corruption du personnage, des nombreuses cases de progression à débloquer ou encore de son évolution au sein de son groupe et de sa faction. En ce sens, parmi les jeux Apocalypse que j’ai lus, Urban Shadows est celui qui offre les plus intéressantes perspectives en matière de campagne. Un constat renforcé par l’univers du jeu et l’intérêt de développer tout un contexte avec de nombreuses intrigues entre les différentes factions.
À propos, les factions interviennent directement dans le système de jeu. Outre leurs statistiques individuelles, les PJ disposent de points répartis entre factions. Ces points définissent leur affinité avec une faction ou leur connaissance de celle-ci. Des moves spécifiques permettent ainsi d’interagir, à des degrés divers, avec les différentes factions. Un choix qui sert encore une fois entièrement le contexte politique d’Urban Shadows. Comme pour la lisibilité, quelques règles assez anecdotiques et pesantes gâchent les mécanismes de base mais dans l’ensemble, le système s’avère très intéressant, malgré des bases très classiques dans le genre. L’autre trait original du jeu, c’est la dette. Les personnages peuvent “contracter” des dettes entre eux et, selon qu’ils les honorent ou non, ces dettes on un impact sur le système.
Et quand on joue ? Un groupe de personnages improbables
S’il y a bien un type de jeu où rien ne se passe jamais comme prévu (et où on ne peut rien prévoir), c’est le propulsé par Apocalypse. Urban Shadows ne déroge pas à la règle et se traduit dès la création de personnages par un groupe invraisemblable. Plus les joueurs fouillent le passé et les relations de leurs personnages, plus ceux-ci gagnent en substance. Cependant, dans un jeu où cette dynamique est au coeur du système, il est essentiel d’avoir une conversation avec les joueurs avant que l’aventure ne commence.
Comme je teste souvent mes jeux dans le cadre d’une seule partie, les joueurs se laissent aller et développent les idées les plus folles. Difficile du coup d’avoir cette conversation. Si je l’avais moins ressenti dans Monster of the Week et Headspace, cet aspect m’a plus frappé dans Urban Shadows. Dans un jeu où les factions et l’environnement jouent un rôle majeur, veillez à ce que les personnages soient en phase quant à leurs attentes du jeu. Le contraire pourrait nuire au bon déroulement de la partie. En dehors de ça, Urban Shadows propose un système très agréable à jouer pour quiconque a déjà adopté Apocalypse.
Conclusion : Le Monde des Ténèbres pour tous
Urban Shadows est, comme je l’expliquais plus haut, l’équivalent – plus étoffé – de Underworld en jeu de rôle. On pourrait également le comparer au Monde des Ténèbres et ses progénitures. Or, si ces derniers disposent de règles encore assez rigides et lourdes (je n’ai joué qu’à Vampire : The Requiem, n’hésitez donc pas à me corriger pour le reste), Urban Shadows propose une version très allégée. Les règles s’assimilent vite et permettent d’évoluer dans le monde occulte sans aucune complexité en matière de combats et d’actions. En revanche, elles stimulent les rapports entre les personnages en choisissant de nombreux angles (factions, relations, dettes, etc.). C’est donc une nouvelle fois la narration qui prend le pas sur l’action pure et dure. Aussi vaut-il mieux voir ailleurs si vous êtes à la recherche d’un système plus structuré et figé. Les fans des ténèbres et d’Apocalypse, eux, devraient adorer Urban Shadows.
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Avec sa dimension politique et les relations intéressées entre les PJ (et PNJ), Urban Shadows apporte une plus-value à un type d'univers qui n'a pourtant plus grand-chose d'original. Bref, un bon jeu propulsé par Apocalypse qui manque juste un peu d'images...