Technoir est un jeu de Jeremy Keller traduit par Chibi récemment. Il vous emmène dans un univers cyberpunk hardboiled. Au menu, donc : 281 pages de technologie, de trenchcoats, d’allées sombres éclairées au réverbère et des personnages torturés qui résolvent leurs problèmes sans faire dans la demi-mesure…
On décortique Technoir VF
La version française des règles de Technoir prend la forme d’un livre de 281 pages (9€ en PDF, 18€ en papier couverture souple, 26€ en papier couverture rigide). Après les crédits, Technoir contient :
- Exposition (4 pages) une courte introduction à trois éléments centraux de l’univers du jeu : la technologie, l’environnement et la société ;
- Initiation (10 pages) présente quelques éléments de base du déroulement d’une partie ;
- Génération (38 pages) décrit les règles de création d’un personnage ;
- Composition (18 pages) détaille l’utilisation des transmissions et la création d’une carte d’intrigue ;
- Incitation (20 pages) livre des pistes pour mener Technoir ;
- Confrontations (56 pages) présente les règles de confrontations du jeu ;
- Récupération (12 pages) décrit les règles de soin physique et social ;
- Les transmissions (106 pages) présentent divers cadres de jeu : Los Angeles, Singapore, le Kilimandjaro, Hong Kong, les Twin Cities, Paris.
Des aides de jeu imprimables et des remerciements clôturent le livre.
Univers : Le futur, mais en noir
Technoir s’ancre dans un double style : d’une part, le cyberpunk, d’autre part le hardboiled.
Le cyberpunk, c’est le futur, dans 20 ans, en pessimiste. Les multinationales ont gagné et dictent la politique des gouvernements nationaux, voire possèdent des pays entiers. Une station orbitale privatisée gravite autour de la Terre. Les villes s’étendent plus que jamais. Et les inégalités entre pauvres et riches ont poursuivi le grand écart jusqu’au bord du craquement fatal.
Le hardboiled, c’est le polar noir dans toute sa splendeur. Des héros brisés par la vie, qui luttent contre le crime et un système corrompu jusqu’à la moëlle, des flics alcooliques qui sont prêts à tout pour faire justice à leur manière, des femmes fatales qui sacrifient tout pour se venger, des allées sombres et brumeuses où une silhouette en trenchcoat apparait furtivement à la lueur d’une cigarette.
Quand on y pense, les deux étaient faits pour se rencontrer. Et Technoir en fait un mariage réussi. En amenant des cadres de jeu divers, il propose des villes différentes avec des enjeux particuliers : au Kilimandjaro se trouve l’ascenseur orbital terrestre, Paris est transformée en ville-musée et protégée de la pollution extérieure par une bulle physique et sociale, … A la lecture, on sent que l’auteur tape large et renouvelle un genre dont on peut vite pensé avoir fait le tour. Cette originalité-là vaut déjà le détour.
Design & lisibilité : la classe façon Chibi
Technoir a bénéficié d’un nouveau maquettage par le Grümph, le gérant de Chibi. On sent qu’il a l’habitude de ce format : tout est clair. Les exemples sont légion, des dessins accompagnent les points les plus complexes, le tout dans un format aéré très agréable à lire. Pour être franc, je n’ai eu à ma disposition que le PDF, mais pour avoir d’autres livres de la gamme Chibi en papier, je peux vous assurer que ce sera un plaisir à parcourir.
Par ailleurs, le Grümph a assuré un taf d’enfer sur les illustrations. Toutes en noir et blanc, elles grouillent de détails mais restent lisibles. C’est un style que le Grümph trace depuis des années et adapte à chaque projet. Personnellement, j’adore – ça m’a mis plein d’images en tête avant de faire jouer, c’était top.
Système de jeu : Rien que du hardboiled
Système de jeu : Rien que du hardboiled
En matière de système de résolution, Technoir a visé le minimalisme et un parti-pris radical. Il n’y a qu’une mécanique pour tout résoudre, d’une infiltration à une fusillade ou un flirt. Tout se base sur l’imposition de qualificatifs positifs (à ses alliés) et négatifs (à ses ennemis) et des conséquences narratives qui en découlent. Vous voulez vous infiltrer dans un complexe corporatiste ? Il vous faudra infliger le qualificatif “distrait” aux gardes ou bien coller un “dérouté” au système de sécurité. Vous voulez mettre un ennemi hors d’état de nuire ? Balancez-lui un “genou perforé” ou un “rivé au sol” bien senti et il ne vous ennuiera plus.
Pour cela, un système assez simple : on prend des dés en fonction de la caractéristique qu’on utilise pour le jet. On y ajoute des dés de renfort en fonction d’avantages qu’on a. Si des qualificatifs négatifs s’appliquent à nous (on a une “cheville en bouillie” et on veut courir le cent mètres), on prend un dé de douleur. Puis on lance les dés. Les dés de douleur annulent les autres dés de même valeur (un 5 sur dé de douleur vire tous les autres 5), le plus haut résultat final donne le score du jet et on compare à une difficulté. Puis on décrit se qui se passe en tenant compte du qualificatif infligé.
Donner les dés de renfort au MJ permet de faire durer les qualificatifs infligés aux PnJ, mais donne cette arme au meneur. On tape dur et on se fait taper dessus en retour, dans le pur style hardboiled. Je pense qu’il faut deux ou trois séances pour intégrer ce système et qu’après, c’est du petit lait. Mais les deux premières séances seront un peu longues.
Pour aller plus loin : les transmissions
Le vrai sel de Technoir est en campagne. Et le jeu fournit un très bel outil pour ça : les transmissions. Dans le livre de base, on en donne six. Il s’agit de cadres de jeu clé-en-main, qui fournissent six contacts, six événements, six factions, six lieux, six objets et six menaces pré-établis.
A la création des PJ, le meneur tire quelques dés pour obtenir trois éléments de départ qu’il va relier entre eux pour créer la base du scénario à venir : la carte d’intrigue. Puis, il demande aux joueurs de choisir trois contacts parmi ceux figurant dans la transmission. Une première solution pour intégrer les PJ à l’intrigue en gestation. Petit à petit se forme un réseau de relations complexe. L’objectif des PJ devient de comprendre ce qui se passe et de faire ce qu’ils estiment juste. Au meneur de leur révéler petit à petit le dessous des cartes en fonction des questions qu’ils posent, de leurs actions, etc.
C’est une super machine à histoire. Dans le one-shot que j’ai mené, j’ai tiré trois éléments qui me paraissaient ne pas coller ensemble : un tournage en réalité augmenté, un séisme et l’arène de sport ultraviolent locale. L’histoire a bien fonctionné au final et était vraiment originale. Chapeau donc.
Par contre, le meneur de jeu a un poids énorme sur les épaules : connecter les points ensemble, y ajouter les contacts à mesure que les PJ les impliquent dans l’intrigue, livrer les révélations au bon rythme, … Un vrai parcours du combattant !
Conclusion : Un jeu précis comme une balle de 9 mm
Technoir est un jeu qui plaira aux amateurs du genre. Il offre un regard nouveau à la frontière de deux genres : le hardboiled et le cyberpunk. Par ses cadres de jeu variés et bien fournis, il assure des heures de jeu vraiment dépaysantes. Par sa mécanique précise, il promet une expérience de jeu particulière, pour peu qu’on prenne le temps de la dompter.
Revers de la médaille : c’est un jeu qui donne un grand pouvoir et de grandes responsabilités au meneur de jeu. Les autres joueurs n’ont que peu de prises réelles sur ce qui se passe à table : on leur demande de découvrir ce que le meneur leur a préparé du mieux qu’ils peuvent. Aux meneurs de jeu qui aiment improviser, ce jeu donnera beaucoup de beau matériel. A ceux qui, comme moi, aiment laisser la main aux joueurs et se faire surprendre par leurs propositions, le jeu n’a pas grand chose à proposer. Ce qui n’enlève rien à ses qualités : je préférerai toujours un jeu ciblé et assumé qu’un fourre-tout qui prétend tout permettre.
Mais pour le coup, je ne pense pas que je m’y aventurerai encore. Mais qui sait…
À bientôt sur Sitegeek,
Manu
J’espère que c’est un excellent verre à whisky, comme ceux du whisky club.