Mindjammer : Hégémonie est un jeu de rôle sorti en février 2017, écrit par Sarah Newton et édité en français par Les XII Singes et Studio Deadcrows. Avec ses 63 pages, ce livre d’initiation a pour but d’accompagner les joueurs dans leurs premiers pas dans cet univers très vaste… trop vaste ?
“MJ, crevé : Bon… vous êtes prêts à jouer à un nouveau jeu ?
PJ 1 : Euh… oui mais t’es sûr que ça va ?
MJ, qui le regarde comme un zombie : Ouais, ouais, t’inquiète pas. Je viens juste de finir de lire le bouquin de règles, je suis un peu fatigué.
PJ 2 : Il est si gros que ça ?
MJ : 60 pages.
Les 3 PJ se regardent sans trop comprendre.
PJ 3 : Et tu nous emmènes où aujourd’hui ?
MJ, qui reprend un peu des couleurs suite à la question et s’exclame en levant les bras : Dans l’espace ! Ce soir, c’est science-fiction !
PJ 1 : Super, on va enfin faire du Star Wars.
MJ perd tout de suite son enthousiaste et baisse les bras : Mais non, c’est pas Star Wars.
PJ 2, qui hoche la tête avec approbation pour corriger PJ 1 et dit d’un ton assuré : Ben non évidemment, c’est du Star Trek.
MJ : Mais vous êtes bêtes ou quoi ?! Y a autre chose que Star Wars et Star Trek dans la science-fiction !
PJ 3 : Ben tu vas nous faire jouer à quoi alors ?
MJ, qui fait un petit roulement de tambour et s’écrie : À Mindjammer !
Silence pesant. Un petit courant d’air traverse la pièce sombre. Une chaise grince un peu trop fort. Les 3 PJ se regardent.
MJ, déçu par l’absence d’effet : Mais… Mindjammer, quoi.
PJ 2 : Et… c’est quoi ?
MJ, de nouveau excité : Ravi que tu poses la question, mon jeune padawan !
PJ 1 : Eh mais je croyais que c’était pas Star Wars !
MJ, qui se reprend : Ah oui, c’est vrai. Eh bien ravi que tu poses la question, mon jeune coquatrepartech !
PJ 1 : Coca-quoi ?
MJ : Euh… Coquatrepartech, c’est un clan dans le jeu.
PJ 2 : Et ça veut dire quoi ?
MJ, qui roule innocemment et coupablement les yeux : Euh… je sais pas, c’est pas dit dans le bouquin d’introduction.
PJ 3, qui perd patience : Bon ça nous explique toujours pas à quoi on joue.
MJ, ravi de pouvoir changer de sujet : Eh bien Mindjammer c’est un jeu de science-fiction qui se déroule 15.000 ans dans le futur !
PJ 3 écarquille les yeux : 15.000 ANS ?
MJ : Oui, 15.000 ans. Et…
PJ 3 l’interrompt, visiblement nerveux : Non mais ça veut dire quoi “15.000 ans dans le futur”, quoi ! Est-ce que les humains existent toujours ? Est-ce qu’on voyage dans l’espace ? Est-ce qu’on voyage à la vitesse de la lumière ? Est-ce que…
MJ essaie de répondre : Non mais attends…
PJ 3 poursuit : Twitter existe toujours ? Est-ce qu’on devient tous gros comme dans Wall-E ?
MJ tente une nouvelle fois : Non, je…
PJ 3 ne s’arrête pas et empoigne le MJ : Et Instagram alors ? Dis-moi qu’on a toujours Instagram ! Et Snap ! Et… Et… (en reprenant un ton moins paniqué et un peu plus enjoué, en ouvrant grand les yeux) est-ce qu’on a des sabres laser ?!
PJ 1 : Mais on t’a dit c’est pas Star Wars !“
On décortique Mindjammer : Hégémonie
La couverture intérieure expédie déjà tous les crédits ainsi que le sommaire. Ensuite, Mindjammer : Hégémonie contient :
- Qu’est-ce que Mindjammer ? / Jouer à Mindjammer (9 pages), un bref avant-propos sur le gamme Mindjammer et le système de règles simplifié, basé sur le Système de Base FATE ;
- Personnages prétirés (4 pages) réunit les quatre fiches très complètes conçues pour le scénario l’Hégémonie ;
- Aventure introductive : l’Hégémonie (38 pages), la trame introductive du livre, comptant d’abord des éléments liés au contexte de l’aventure, suivi du scénario à proprement parler et ponctué d’une page centrale faisant office d’aide de jeu, avec un la carte d’une planète et ses informations ainsi que le plan d’un vaisseau ;
Le livre, au format A4 souple et imprimé sur papier glacé, se termine par une page d’index ainsi qu’une page mentionnant tous les souscripteurs de la campagne Kickstarter.
Univers : 15.000 ans d’informations… bonne chance !
Autant crever l’abcès, je reste très mitigé devant cette première expérience Mindjammer. Et Dieu sait que j’étais très enthousiaste à l’idée de me plonger dans une aventure sci-fi transhumaniste. Moi qui espérais retrouver une expérience digne du jeu vidéo Mass Effect, j’ai eu l’impression de me coltiner l’Encyclopédie Universalis… mais dans 15.000 ans. C’est vous dire la tonne d’infos à gober. Plus sérieusement, le fait que le jeu se déroule dans les années 17.000 pose un problème d’emblée. Que signifie donc ce bond dans le temps ? Comment peut-on concevoir le futur si lointain ? Du coup, on comprend mieux les 500 pages du livre de base, dont une large partie se consacre exclusivement au décorum.
Cette densité d’informations, on en a déjà un avant-goût dans Mindjammer : Hégémonie. Il livre ainsi des informations ultra-détaillées sur les organisations, planètes, acronymes des différents acteurs, clans, etc. Le souci, c’est qu’il ne sait pas où s’arrêter. On se retrouve donc à lire des informations sur tous les recoins d’une planète, son écosystème, la longueur de ses jours, le défilement du temps, les périodes de rotation, l’indice commercial, les corps planétaires, les satellites, la proportion de liquide en surface… *je reprends mon souffle* Et je ne plaisante pas. Tout ça figure dans la description d’une seule planète, alors imaginez plusieurs. On ne sait plus où donner la tête et on finit par tout envoyer valser pour simplifier et adapter à sa sauce. C’est dommage car il faut vraiment saluer le travail et l’imagination vaste de Sarah Newton. Mais là, c’est trop ! Il faut qu’on respire.
Design et lisibilité : où sont les dessins ?
On s’est pas trop foulé pour le design du bouquin. La couverture est celle du livre de base (en pleine campagne de crowdfunding chez Black Book Editions), tandis que certaines illustrations en sont aussi reprises. C’est dommage quand on voit leur qualité. Même constat pour leur nombre. Le livre ne contient pratiquement que du texte, en dehors de l’aide de jeu qui se trouve en son centre. Vous me direz qu’avec 60 pages, il fallait bien se concentrer sur le texte… mais qui sait, en donnant un peu moins de détails superflus, on aurait bien pu laisser de la place aux illustrations, non ? Ça paraît accessoire mais celles-ci permettent souvent aux lecteurs de visualiser l’univers du jeu. Et quand on parle de 15.000 ans dans le futur, visualiser, c’est peut-être pas si mal.
En revanche, rien à dire sur le texte. Du beau travail éditorial. Les règles sont relativement claires, les quelques informations annexes sur l’univers aussi. Il est toutefois essentiel de bien tout lire d’une traite car certains éléments peuvent paraître confus. Mais à mesure qu’on avance dans la lecture, les pièces trouvent leur place dans le puzzle. Le livre renvoie en plus souvent aux passages nécessaires pour bien comprendre les points abordés. Hélas, quelques informations liées au contexte global du jeu manquent de précision (oui, un comble !) mais on sort de sa lecture avec une image assez limpide de ce qui nous attend. Vu la densité du texte, on peut également apprécier la qualité de la relecture.
Système de jeu : FATE, une belle découverte
Clairement le point fort du jeu, le système FATE. Je ne le connaissais que de nom et si je reste encore sceptique surcertains points, mes griefs sont subjectifs. Avec du recul, il y a vraiment de quoi apprécier ce système. Tout d’abord, il faut sortir ses quatre jolis dés FATE (dés à 6 faces avec deux faces +, deux – et deux neutres). Selon le résultat, auquel on ajoute le niveau de maîtrise d’une compétence, on réussit ou échoue une action. Exemple : vous obtenez 2 +, 1 – et 1 neutre. Ça vous fait un résultat de +1, auquel on ajoute le modificateur de compétence. Jusque là, ça reste assez classique. Viennent ensuite les aspects. Ceux-ci sont des phrases (idéalement conçues par les joueurs, ce n’est pas le cas pour les prétirés du livre) à interpréter librement. La phrase Je suis un soldat d’élite permet tout ce que vous en comprenez, sous réserve de l’accord du MJ.
D’ailleurs, le système FATE incite clairement à partager la narration entre les joueurs et le MJ. Si vous réussissez une action, le MJ – qui peut prendre la narration en main – demandera d’abord au joueur d’expliquer en détails comment il s’y prend. Ce mélange entre compétences classiques et aspects narratifs constitue à la fois un avantage et un inconvénient. Clairement, le but est de proposer un compromis entre deux approches du jeu rôle que sont la narration et la simulation. En ce sens, le système fonctionne très bien. En revanche, certains joueurs pourraient reprocher à ce système ce côté mi-figue, mi-raisin, préférant une approche bien orientée plutôt qu’un compromis. Dans Mindjammer : Hégémonie, un autre problème vient s’ajouter : les prétirés disposent d’aspects qui ne sont pas du tout clairs pour les joueurs, renvoyant à des informations de contexte difficiles à saisir et donc à s’approprier.
Et quand on joue ? On se tire dans les pattes !
Ce qui devait arriver, arriva. Je vous explique : en lisant le background des prétirés (et donc forcément les aspects qui y sont liés), j’ai constaté qu’ils n’étaient pas forcément alliés. On a un membre des Forces spéciales qui a arrêté une I.A. déserteuse sur une planète de la Bordure. Une habitante de cette planète, qui a sauvé l’I.A. de la torture, est arrêtée en même temps. Les Forces spéciales envoient l’agent en mission sur une nouvelle planète et proposent à celui-ci d’enrôler ses captifs. J’ai l’habitude de jouer avec des joueurs coopératifs mais avec un postulat pareil, comment vous voulez-vous que les joueurs collaborent ? Ça a posé un vrai souci en matière de roleplay car les inimités entre les personnages se sont faites sentir d’emblée.
Quant au système, pas de gros souci. Il est bien huilé et assez fluide. Le seul gros défaut qu’on peut lui trouver – outre la question du compromis, qui reste un débat à part -, c’est le fait que les joueurs n’ont pas pu s’approprier les aspects des prétirés. Peut-être aurait-il fallu proposer des prétirés plus vagues avec des informations plus pragmatiques afin de permettre aux joueurs d’inventer leurs propres aspects. Cela aurait donné lieu à une toute autre dynamique de jeu. Nous avons malgré tout passé un bon moment lors de la partie et les joueurs se sont assez vite imprégnés des mécanismes. Dans l’ensemble, le jeu n’est pas désagréable à jouer mais des ajustements sont indispensables si vous testez Mindjammer : Hégémonie.
Conclusion : cher, le kit d’initiation
Je suis déçu. Ou plutôt frustré. J’avais hâte de découvrir l’univers de Mindjammer par le biais de ce livre d’initiation Hégémonie. Un space opera avec des conflits politiques interstellaires, une technologie incroyable et un univers riche. Très riche. Trop riche. Et donc superflu. C’est clairement le premier blocage que j’ai ressenti en lisant : trop d’informations inutiles viennent alourdir la lecture. Le comble, c’est que ces informations anecdotiques empêchent le joueur de bien visualiser l’univers. Du coup, les informations pragmatiques passent à la trappe. Bête exemple : qu’est-ce que la Noosphère, cet ersatz d’Internet futuriste ? Plutôt que de me donner l’indice de gravité d’une planète, je préférerais nettement avoir des informations là-dessus, puisque ça peut faire partie des mécanismes de jeu.
Le reste s’en sort mieux, avec un livre bien écrit et des règles relativement claires, malgré des personnages prétirés clairement contre-productifs. Le système propose quant à lui un bon compromis entre la simulation et la narration, à condition bien sûr que ce soit ce que les joueurs recherchent. À vous de savoir maintenant si tout cela vaut les 20 euros de Mindjammer : Hégémonie. Je précise finalement que cette critique concerne bien le livre d’initiation et non le livre de base, qui apporte peut-être des réponses satisfaisantes aux défauts relevés ici.
Des joueurs de Mindjammer dans la salle ? Vous avez pu tester le jeu (en anglais) ou ce livre-ci ? Vos commentaires sont les bienvenus !
À bientôt sur Sitegeek,
Musa
Verdict
Univers
Design et lisibilité
Système
Et quand on joue ?
Un univers très lourd, des prétirés contre-productifs et des règles pas toujours très claires. Voilà qui résume Mindjammer : Hégémonie, qui repose toutefois sur un système faisant le lien entre narration et simulation. Un compromis rare pour les joueurs qui ne trouvent leur compte ni chez l'un, ni chez l'autre.
Mindjammer est à l’origine un cadre de campagne pour Starblazer Adventures, un jdr à univers “bac à sable”. Il est devenu un univers autonome, sans référence à Starblazer. L’univers de Mindjammer reste toutefois un univers “bac à sable”, juste un peu plus étoffé que celui de Starblazer. Le background est très limité, dispersé dans les deux livres de base, à la fois très parcellaire et remplis de contradictions.
Il faut comprendre que Mindjammer est avant tout un variante new space opera et transhumaniste du système fate avec un peu d’habillage du background. Problème majeur: le manque de clarté est tel que même les inconditionnels du système fate sont nombreux à s’en plaindre. Pour exemple, le système de création de personnage emploie la notion de “concept” dans trois sens différents sans les définir clairement. On ne peut pas dire non plus que l’offre de jeu de base soit très claire et illustrée par les scénarios. On alterne plutôt entre Star Trek et James Bond.
Mon conseil serait de d’abord jouer quelques parties de Fate of Cthulhu, un jdr qui emploie une version allégée de Fate bien expliquée Même moi qui exècre le système Fate, je lui donnerai un 5/5 rien que pour les règles; le traitement du Mythe est aussi original qu’honorable. Ensuite, testez Mindjammer: Si vous n’arrivez pas à vous en sortir, vous pourrez sans problème greffer ses règles particulières sur les règles de base de Fate of Cthulhu.
Mais quoi qu’il en soit, si vous vous lancez dans Mindjammer, c’est pour jouer avec Fate dans un cadre SF, pas pour jouer dans un cadre SF avec l’aide de Fate.
Mindjammer est un jeu très complet qui demande de changer ses habitudes pour les régles. En effet, le systeme Fate laisse une grande place au roleplay. On ne passe pas des heures à lancer des dés ou a chercher quelle ligne de compétence on doit prendre pour une action.
La description de l’univers est un peu déroutante au début car le vocabulaire est différent mais on arrive à s’y plonger et les incroyables possibilités du jeu vont faire galoper votre l’imagination sur tout ce que vous allez pouvoir créer (autant en personnages, vaisseaux, cultures et planètes…)
Salut Fab,
Merci pour ton retour
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Mindjammer mérite qu’on s’y intéresse pour son utilisation intelligente du système Fate pour créer un univers dense et peuplé !