Meute est un jeu de Julien Moreau publié chez John Doe en octobre 2018. Ce jeu propose d’incarner une meute de Neuris, des loups-garous dans un monde contemporain teinté de fantastique. Les vieilles légendes s’incarnent alors que l’esprit de votre loup s’éveille et que les liens de la meute se tendent !
On décortique Meute
Le livre de règle de Meute fait 160 pages (45€, couverture rigide, fourni avec un écran 4 volets couleur). Après les crédits, Meute contient :
- Univers (14 pages) donne quelques bases de l’univers du jeu ;
- Règles (32 pages) présente le système de résolution, de création de personnage et de meute ;
- Galerie (35 pages) détaille des points d’univers originaux en fournissant de nombreuses accroches de scénarios ;
- Mener les loups (8 pages) fournit nombre de conseils au meneur ou à la meneuse de jeu ;
- Le Gévaudan : un territoire prêt-à-jouer (47 pages) propose un cadre de jeu clé-en-main et une trame de campagne ;
- Annexes (13 pages) offre un lexique, les pré-tirés de la campagne du Gévaudanet les remerciements aux contributeurs de la précommande.
Univers : Bienvenue chez vous
Meute propose aux joueurs et joueuses d’incarner des loups-garous. Mais loin de la vision ultraviolente et gothique des productions de White Wolf, Julien Moreau nous offre un concept bien plus intéressant. Au départ, les Neuris (c’est ainsi qu’on appelle les lycanthropes dans Meute) sont une tribu balkanique vieille de 3.500 ans qui se lia à l’âme de loups pour l’éternité. Ses descendants doivent vivre avec ce lourd héritage, les loups se réincarnant sans cesse. On naît Neuri, on ne le devient pas.
Moreau tire de là une réinterprétation de l’histoire de l’humanité. Si le loup a tant d’importance dans les mythes humains, c’est la preuve que des Neuris ont eu leur place dans bien des civilisations. L’Eglise est un ennemi traditionnel des Neuris, tandis que les pouvoirs publics ont mis en place l’ordre des Luparis, chargé de réguler les populations neuries et de veiller à ce qu’elles restent discrètes.
Hormis les Neuris, le monde de Meute est empli d’êtres fantastiques. D’autres changeformes existent. Les légendes locales s’incarnent parfois en possédant un corps humain pour s’ancrer dans le réel. Un monde riche, qui invite à se l’approprier par des cadrants “Et si…” ponctuant le texte, qui fournissent des accroches de scénario ou de scènes. Tout cela donne très envie de le mettre en jeu, d’autant que la maquette est splendide.
Design & lisibilité : un beau pelage un rien galeux
Meute propose une mise en page agréable, aérée, ponctuée de très belles illustrations notamment réalisées par Olivier “Akae” Sanfilippo. Cependant, il souffre de la maladie du siècle en jeu de rôle : le manque de relecture. J’ai relevé plusieurs coquilles, voire une ou deux phrases qui ne voulaient rien dire. Je trouve ça grave, surtout pour 45€. J’y vois la pression mise pour une sortie rapide (le jeu a bénéficié d’un financement/précommande sur la plateforme de Black Book Editions début 2018) qui est souvent dommageable au produit final.
Par ailleurs, il m’a fallu ramer pour trouver certains points de règles en partie, malgré un écran 4 volets bien fourni. Les informations se donnent à des endroits différents et il manque une aide de jeu claire ou un rappel en fin de chapitre qui permettrait d’avoir tout en un coup-d’œil quand on mène. Certes, le jeu est taillé pour la campagne et le livre invite à y revenir régulièrement pour y puiser de l’inspiration. Mais d’un point de vue pratique, c’est un échec à mon sens. Il faudra adapter à la volée, quitte à corriger le tir par la suite. Dommage, parce que l’écriture est agréable et que le fond est souvent enthousiasmant.
Système de jeu : Une tradition contemporaine
Système de jeu : Une tradition contemporaine
Meute propose un système de résolution très classique : on constitue une poignée de dés qu’on lance avec un certain seuil de difficulté. On compte le nombre de réussites et on applique le résultat.
Sur cette base, pourtant, Moreau parvient à intégrer des éléments vraiment intéressants. Le rapport de domination entre humain est loup est rendu par la prégnance, une jauge qui se remplit sous des conditions différentes selon la personnalité de chaque loup : un dominant prendra mal que l’on remette ses ordres en question tandis qu’un prédateur s’excitera en sentant la peur de sa proie. Chaque étape de cette jauge marque des bonus et des malus pour l’humain, à mesure que le loup s’éveille. Il s’agira donc réellement pour le joueur de négocier la jauge afin d’actualiser tout le potentiel de son personnage sans aller trop loin et laisser le loup prendre les commandes.
Cette prise de pouvoir du loup est très bien gérée par le jeu : lorsqu’il prend le contrôle du corps, le loup agit selon ses objectifs propres. Le joueur doit alors fixer un objectif de scène au loup, en accord avec le meneur : l’humain ne pourra reprendre le contrôle du corps que si le loup a accompli son objectif de scène. Le problème, c’est que les objectifs de scène peuvent être à l’opposé de ce que le “scénario” ou l’humain voudraient, puisque le loup possède une toute autre logique.
C’est une vraie trouvaille : on échappe au problème de la perte de santé mentale de l’Appel de Cthulhu ou à la libération de la Bête dans le Monde des Ténèbres. Dans ces jeux, le meneur prenait le contrôle du PJ, ce qui était souvent frustrant pour le joueur ou la joueuse. Meute garde une contrainte en accord avec la personnalité du loup mais laisse le joueur en contrôle. C’est très bien vu.
La meute, enfin, possède sa propre fiche et ses propres mécaniques. D’une part, le lien de meute fournit un pool de dés qui peut être utilisé par ses membres – les loups sont plus forts ensemble. Evidemment, ce pool de dés est rapide à vider mais lent à remplir. D’autre part, les relations des membres de la meute entre eux – et le rôle de l’Alpha – sont mécanisés et fournissent un beau ressort à drama entre joueurs.
Enfin, les Mémoires de la meute représentent des périodes du passé où la meute existait déjà et a vécu des moments marquants. On les détermine à la création (la meute était-elle mousquetaires au service du Roi ? Gaulois s’opposant à l’invasion de César ?). Elle permet de rendre concret le côté historique du jeu, les réincarnations multiples du loup dans différents corps humains. On peut même aller jusqu’à créer les fiches de personnages des humains de l’époque concernée, pour vivre une campagne dans plusieurs moments historiques séparés, mais reliés par les esprits des loups.
Et quand on joue ? Le bon goût de la frustration
J’ai fait jouer une séance de test en prenant la trame de campagne proposée dans le livre de règles. Elle se passe dans le Gévaudan et, bien sûr, tourne autour de la Bête qui ravagea la région à la fin du XVIIIe siècle. Le livre nous propose une belle description du cadre, reprenant en quelques paragraphes les hauts-lieux de la région, quelques PnJ importants et des accroches intéressantes. On peut par contre déplorer le manque de ressources disponibles à table : il n’y a ni fiche de pré-tirés à imprimer, ni aides de jeu pour la campagne. C’est dommage.
Malgré ça, la partie était très agréable. Les joueurs ont commencé très précautionneusement, jusqu’à ce que les loups sortent. Là, tout s’est emballé et laissait présager des développements très intéressants. Nous en sommes sortis avec la bonne frustration du one-shot qu’on aimerait poursuivre. J’ai bien envie de lancer une campagne, à voir si j’en aurai le temps…
Conclusion : Hurlons notre joie
Meute est une belle réussite. Moreau réussit le tour de force de réinventer l’imagerie du loup-garou, sur laquelle White Wolf avait la mainmise depuis un bon moment. Il en sort un jeu intéressant, aux problématiques matures et complexes. Il fait le choix clair d’axer son jeu autour de problématiques sociales et identitaires : comment vivre en meute ? Comment faire la part entre l’homme et le loup en soi ? De plus, il nous encourage à ancrer nos parties dans les contes et légendes de notre région, de nous y intéresser de près. C’est suffisamment rare que pour être signalé.
Si vous désirez un jeu à vous approprier mais proposant une solide base, ce jeu est pour vous. Vous avez devant vous des heures et des heures de belles aventures en perspective.
Au plaisir de hurler tous en chœur,
À bientôt sur Sitegeek,
Manu